Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
exilés, qui dirigèrent leur marche, l’une vers l’Oxus, l’autre vers
le Volga. La première de ces colonies s’établit dans les plaines vastes et
fertiles de la Sogdiane sur la rive orientale de la mer Caspienne, où ils
conservèrent le nom de Huns, avec le surnom d’Euthalites ou Nephtalites. Leurs
mœurs et jusqu’aux traits de leur visage, s’adoucirent insensiblement sous un
climat tempéré et dans une province [3046] florissante qui conservait encore quelque souvenir des arts de la Grèce [3047] . Les Huns
blancs, nom qui leur fut donné d’après le changement de leur couleur,
abandonnèrent bientôt les mœurs pastorales de la Scythie. Gorgo, qui, sous le
nom de Carizme, a joui d’une splendeur passagère, devint la résidence du roi,
qui régna paisiblement sur un peuple docile. Les travaux des Sogdiens
fournissaient à leur luxe, et les Huns ne conservèrent de leur ancienne
barbarie que la coutume odieuse d’enterrer vivants, dans le tombeau où l’on
déposait un prince ou un citoyen opulent, jusqu’au nombre de vingt de ceux qui
avaient partagé ses bienfaits durant sa vie [3048] . Le voisinage
des frontières de la Perse exposait souvent les Huns à de sanglants combats
avec toutes les armées de cette monarchie ; mais ils respectaient en temps de
pain la foi des traités, et les lois de l’humanité en temps de guerre. Leur
victoire mémorable sur Peroses ou Firuz fit autant d’honneur à la modération
qu’à la valeur des Barbares. La seconde division des Huns, leurs compatriotes,
qui s’avança vers le nord-ouest, rencontra plus d’obstacles, et se fixa sous un
climat plus rigoureux. La nécessité leur fit changer les soies de la Chine pour
les fourrures de la Sibérie. Les commencements imparfaits de civilisation qui
se faisaient sentir parmi eux, s’effacèrent entièrement, et leur férocité
naturelle s’augmenta par leurs rapports avec des tribus barbares qu’on a
comparées, avec assez de justice aux animaux sauvages du désert. Leur fierté
indocile rejeta bientôt la succession héréditaire des Tanjoux ; chaque horde
fut gouvernée par son mursa particulier ; et leur conseil tumultueux dirigeait
les entreprises de la nation. Le nom de la Grande-Hongrie a attesté jusqu’au
treizième siècle leur résidence sur les rives orientales du Volga [3049] . Dans l’hiver,
ils descendaient avec leurs troupeaux vers l’embouchure de cette grande
rivière, et ils poussaient leurs excursions dans l’été jusqu’à la latitude de
Saratoff, ou peut-être jusqu’au confluent du Kama. Telles étaient du moins les
récentes limites des Calmoucks noirs [3050] ,
qui restèrent environ cent ans’ sous la protection de la Russie, et qui sont
retournes depuis dans leur ancienne patrie, sur les frontières de la Chine. Le
départ et le retour de ces Tartares errants, dont le camp réuni composait
cinquante mille familles, explique les anciennes émigrations des Huns [3051] .
Il est impossible de remplir l’intervalle obscur du temps
qui s’est écoulé depuis que les Huns disparurent des environs de la Chine,
jusqu’au moment où ils se montrèrent sur les frontières des Romains. Quoi qu’il
en soit, on peut raisonnablement croire qu’ils furent poussés jusque sur les
confins de l’Europe par les mêmes adversaires qui les avaient chassés de leur
pays natal. La puissance des Sienpi, leurs ennemis implacables, qui s’étendait
à plus de trois mille milles d’orient en occident [3052] , doit les avoir
insensiblement éloignés par la terreur de leur voisinage ; et l’affluence des
tribus fugitives de la Scythie devait nécessairement augmenter les forces des
Huns ou resserrer leur territoire. Les noms barbares et peu connus de ces
différentes hordes blesseraient l’oreille du lecteur, sans rien présenter à son
intelligence ; mais je ne puis me dispenser d’observer que le nombre des Huns
du Nord dut être considérablement, augmenté par la dynastie du Sud qui, dans le
cours du troisième siècle, se soumit au gouvernement des Chinois ; que les plus
braves guerriers de cette nation durent chercher et suivre les traces de leurs
compatriotes libres et fugitifs, et oublier, dans les revers communs de leur
infortune, les divisions qu’avait occasionnées entre eux la prospérité [3053] . Les Huns, avec
leurs troupeaux, leurs femmes, leurs enfants, leur suite et leurs alliés, se
transportèrent sur la rive occidentale du Volga, et s’avancèrent
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