Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
doctrine hérétique d’Arius qu’elle tâchait
d’inculquer à son fils. Justine, persuadée qu’un empereur romain avait le droit
d’obtenir dans ses propres États l’exercice public de sa religion, crut faire à
saint Ambroise une proposition raisonnable et modérée en lui demandant la
jouissance d’une seule église, soit dans la ville, soit dans les faubourgs de
Milan ; mais le pieux archevêque se conduisait par des principes différents [3199] . Il reconnaissait
que les palais de la terre appartiennent au souverain ; mais il considérait les
églises comme le sanctuaire de Dieu, dont il prétendait, comme le successeur
des apôtres, être le seul ministre dans toute l’étendue de son diocèse. Les
vrais croyants devaient jouir exclusivement des privilèges temporels aussi bien
que spirituels du christianisme, et le prélat regardait ses opinions
théologiques comme la règle essentielle et invariable de l’orthodoxie et de la
vérité. Il refusa toute conférence où négociation avec les disciples de Satan,
et déclara, avec une fermeté modeste, qu’il souffrirait plutôt le martyre que
de consentir à un sacrilège. Justine, offensée d’un refus qu’elle regardait
comme un acte d’insolence et de rébellion, résolut imprudemment d’avoir recours
à l’autorité impériale. Elle manda l’archevêque dans son conseil quelques jours
avant la fête de Pâques, pendant laquelle elle désirait faire publiquement ses
dévotions. Saint Ambroise obéit avec tout le respect d’un sujet fidèle ; mais
le peuple l’avait suivi sans son aveu, et se pressait impétueusement autour des
portes du palais. La frayeur saisit les ministres de Valentinien ; au lieu
d’une sentence d’exil contre l’archevêque, ils le supplièrent d’interposer son
autorité pour protéger le souverain et rendre la tranquillité à la capitale.
Mais les promesses que l’on fit à saint Ambroise, et qu’il communiqua aux
citoyens, furent bientôt violées par une cour perfide, et tous les désordres du
fanatisme régnèrent dans la capitale durant les six jours solennels que la
piété chrétienne a destinés aux cérémonies de la dévotion. Les officiers du
palais préparèrent d’abord la basilique Porcienne, et ensuite la
nouvelle basilique pour la réception de l’empereur et de la princesse sa
mère, et y arrangèrent, à la manière accoutumée, le dais brillant et tous les
ornements du trône impérial ; mais il fallut les faire accompagner d’une forte
garde militaire, pour éviter les insultes de la populace. Les ecclésiastiques
ariens qui hasardaient de paraître dans les rues couraient risque de la vie, et
saint Ambroise eut le mérite et la gloire de sauver ses ennemis personnels des
mains d’une multitude en fureur.
Mais tandis qu’il tâchait de s’opposer à ces effets du zélé
religieux, la véhémence pathétique de ses sermons continuait à enflammer les
dispositions violentes et séditieuses du peuple de Milan. Il appliquait
indécemment à la cause de l’empereur des comparaisons tirées du caractère
d’Ève, de la femme de Job, de Jézabel et d’Hérodias ; et il assimilait la demande
d’une église pour les ariens aux plus cruelles persécutions que les chrétiens
eussent endurées sous le règne du paganisme. Les mesures de la cour ne
servirent qu’à faire connaître toute l’étendue du mal. On imposa une amende de
deux cents livres d’or sur les communautés des marchands et des manufacturiers
; on ordonna, au nom de l’empereur, à tous les officiers et aux suppôts
inférieurs de la justice, de rester renfermés dans leurs maisons jusqu’à la fin
des troubles de la capitale ; et les ministres de Valentinien eurent
l’imprudence d’avouer publiquement que les citoyens les plus respectables de
Milan étaient attachés au parti de l’archevêque. On le sollicita une seconde
fois de rendre la paix à son pays, en se soumettant, tandis qu’il le pouvait encore,
aux volontés de son souverain : saint Ambroise fit sa réponse en termes
humbles et respectueux, mais qu’on pouvait regarder comme une déclaration de
guerre civile. Elle portait : Que l’empereur pouvait disposer de son sort et
de sa vie ; mais qu’il ne trahirait jamais l’Église de Jésus-Christ ; qu’il ne
dégraderait point la dignité du caractère épiscopal ; que, pour cette cause, il
était prêt à souffrir tous les supplices que la malice du démon pourrait
accumuler sur lui, et qu’il ne
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