Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Claudien s’était
convaincu de l’existence d’un Dieu, créateur ; mais le triomphe du vice lui
paraissait en contradiction avec la divinité, et le sort de Rufin fût le seul
événement qui pût faire cesser les doutes du poète [3384] . La mort du
préfet, si elle vengea l’honneur de la Providence, contribua peu au bonheur des
peuples ; ils apprirent, environ trois mois après, à connaître les maximes de
la nouvelle administration, par la publication d’un édit qui confisquait la
dépouille entière de Rufin au profit du trésor impérial, et imposait silence,
sous peine de punition exemplaire, à toutes les réclamations des victimes de sa
tyrannie [3385] Stilichon lui-même ne tira point du meurtre de son rival l’avantage qu’il s’en
était proposé. Il satisfit sa vengeance, mais son ambition fut trompée. Sous le
nom de favori, la faiblesse d’Arcadius avait besoin d’un maître ; mais il
préféra naturellement la complaisante bassesse de l’eunuque Eutrope, à qui il
donnait sa confiance par habitude, et le génie sévère du général étranger
n’inspira au monarque que de la crainte et de l’aversion. Jusqu’au moment où la
jalousie de la paissance les divisa, l’épée de Gainas et l’influence d’Eudoxie
soutinrent la faveur du grand chambellan ; mais le perfide Goth, devenu maître
général de l’Orient, trahit sans hésiter son bienfaiteur, et, employa les
troupes qui avaient massacré récemment l’ennemi de Stilichon, à maintenir
contre lui l’indépendance du trône de Constantinople Les favoris d’Arcadius
fomentèrent une guerre secrète et irréconciliable contre un héros qui aspirait
à gouverner et à défendre les deux empires et les deux fils de Théodose. Ils
employèrent sans relâche les plus odieux artifices pour lui enlever l’estime du
prince, le respect du peuple et l’amitié des Barbares. Des assassins, séduits
par l’appât de l’or attentèrent plusieurs fois à la vie de Stilichon : un
décret du sénat de Constantinople le déclara l’ennemi de l’État, et confisqua
ses vastes possessions dans les provinces de l’Orient. Dans un temps où l’union
constante de tous les sujets de l’empire et des secours mutuels pouvaient seuls
retarder la ruine du monde romain, Arcadius et Honorius apprirent à leurs
sujets à regarder le deux États comme tout à fait étrangers l’un à l’autre, ou
même comme ennemis ; à se réjouir mutuellement de leurs calamités réciproques
et à traiter comme des alliés fidèles les Barbares qu’ils excitaient à envahir
le territoire de leurs compatriotes [3386] .
Les Italiens affectaient de mépriser les Grecs effémines de Byzance, qui
prétendaient imiter l’habillement et usurper la dignité des sénateurs romains [3387] , et les Grecs,
conservaient encore une partie de la haine dédaigneuse que leurs ancêtres
policés avaient nourrie si longtemps contre les habitants grossiers de
l’Occident. La distinction de deux gouvernements, qui sépara bientôt tout à
fait les deux nations, m’autorise à suspendre un moment le cours de l’histoire
de Byzance pour suivre sans interruption le règne honteux, mais mémorable, de
l’empereur Honorius.
Le prudent Stilichon, au lieu de persister à contraindre
l’inclination du prince et des peuples qui rejetaient son gouvernement,
abandonna sagement Arcadius à ses indignes favoris ; et sa répugnance à
entraîner les deux empires dans une guerre civile prouva la modération d’un
ministre, qui avait signalé si souvent sa valeur et ses talents militaires.
Mais si Stilichon eût souffert plus longtemps la révolte d’Afrique, il aurait
exposé la capitale et la majesté de l’empereur d’Occident à tomber sous
l’insolente et capricieuse domination d’un Maure rebelle. Gildon [3388] , frère du tyran
Firmus, avait obtenu et conservé, pour récompense de sa fidélité apparente,
l’immense patrimoine dont la rébellion de son frère avait privé sa famille. Ses
longs et utiles services dans les armées de Rome l’élevèrent à la dignité de
comte militaire. La politique bornée de la cour de Théodose, avait adopté le
dangereux principe de soutenir un gouvernement légal par l’influence d’une
famille puissante, et le frère de Firmus obtint le commandement de l’Afrique.
L’ambitieux Gildon usurpa bientôt l’administration arbitraire et absolue de la
justice et des finances, et se maintint pendant douze ans dans la possession
d’une
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