Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
nombreux
habitants.
Stilichon confia la cause de Rome et la guerre d’Afrique à
un général actif et animé du désir de venger sur le tyran des injures
personnelles. L’esprit de discorde qui régnait dans la maison de Nabal avait
excité une querelle violente entre deux de ses fils, Gildon et Macezel [3394] . L’usurpateur
avait poursuivi avec une fureur implacable la vie de son frère puîné, dont il
redoutait le courage et les talents ; Mascezel, sans défense contre un pouvoir
supérieur, avait cherché un refuge à la cour de Milan, d’où il apprit bientôt
la mort de ses deux jeunes enfants, que leur oncle avait impitoyablement
massacrés. L’affliction paternelle fut suspendue par la soif de la vengeance.
Le vigilant Stilichon rassemblait déjà les forces maritimes et militaires de
l’Occident, résolu, si Gildon se montrait en état de soutenir et de balancer la
fortune, de marcher contre lui en personne. Mais, comme l’Italie exigeait sa
présence, comme il était dangereux de dégarnir les frontières, il jugea plus à
propos que Mascezel tentât d’abord cette entreprise hasardeuse, à la, tête d’un
corps choisi de vétérans gaulois qui avaient servi sous les étendards d’Eugène.
Ces troupes, que l’on exhorta à prouver au monde qu’elles savaient aussi bien
renverser le trône d’un usurpateur que le défendre, étaient composées des
légions Jovienne , Herculienne et Augustienne , des
auxiliaires Nerviens , des soldats qui portaient pour symbole un lion sur leurs drapeaux, et des troupes distinguées par des noms de fortunée et d’ invincible . Mais telle était la formation de ces différents corps
ou la difficulté de les recruter, que ces sept troupes, d’un rang et d’une
réputation distinguée dans les armées romaines [3395] , ne montaient
qu’à cinq mille hommes effectifs [3396] .
Les galères et les bâtiments de transport, sortirent par un temps orageux du
port de Pise en Toscane, et gouvernèrent sur l’île de Capraria, qui avait pris
ce nom des chèvres sauvages, ses premiers habitants, et était occupée alors par
une nouvelle colonie d’un aspect sauvage et bizarre. Toute l’île , dit un
ingénieux voyageur de ce siècle, est remplie ou plutôt souillée par des hommes
qui fuient la clarté du jour. Ils prennent le nom de moines ou de solitaires,
parce qu’ils vivent seuls et ne veulent point de témoins de leurs fictions. Ils
rejettent les richesses dans la crainte de les perdre, et, pour éviter de
devenir malheureux, ils se livrent volontairement à la misère. Quel comble
d’extravagance et d’absurdité, de craindre les maux de cette vie sans savoir en
goûter les jouissances ! Ou cette humeur mélancolique est l’effet d’une
maladie, ou les remords de leurs crimes obligent ces malheureux à exercer sur
eux-mêmes les châtiments que la main de la justice inflige aux esclaves
fugitifs [3397] .
Tel était le mépris d’un magistrat profane pour les moines
de Capraria, révérés par le pieux Mascezel comme les serviteurs chéris du
Tout-Puissant [3398] .
Quelques-uns d’eux se laissèrent persuader par ses instances de monter sur ses
vaisseaux ; et l’on observe, à la louange du général romain, qu’il passait les
jours et les nuits à prier, à jeûner et à chanter des psaumes. Le dévot
général, qui, avec un pareil renfort, semblait compter sur la victoire, évita
les rochers de la Corse, longea les côtes orientales de la Sardaigne, et mit
ses vaisseaux en sûreté contre la violence des vents du sud en jetant l’ancre
dans le port vaste et sûr de Cagliari, à la distance de cent quarante milles
des côtes de l’Afrique [3399] .
Gildon avait mis sur pied, pour repousser l’invasion, toutes
les forces de cette province. Il avait tâché de s’assurer par des dons et par
des promesses la fidélité suspecte des soldats romains, en même temps qu’il
attirait sous ses drapeaux les tribus éloignées de la Gétulie et de l’Éthiopie.
Après avoir passé en revue une armée de soixante-dix mille hommes,
l’orgueilleux usurpateur se vantait, avec une folle présomption qui est presque
toujours l’avant-coureur d’un revers, que sa nombreuse cavalerie foulerait aux
pieds la petite troupe de Mascezel, et ensevelirait dans un nuage de sable
brûlant ces soldats tirés des froides régions de la Gaule et de la Germanie [3400] . Mais le Maure
qui commandait les légions d’Honorius connaissait trop bien le caractère et
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