Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
de son père adoptif [3371] . Convaincu que
le mari de Sérène demeurerait fidèle aux souverains qui l’avaient rapproche
d’eux, Théodose se plut à élever la fortune et à exercer les talents du sage et
intrépide Stilichon. Il passa successivement du grade de maître de la cavalerie
et de comte des domestiques, au rang distingué de maître général de toute la
cavalerie et infanterie de l’empire romain, ou du moins de l’empire d’Occident [3372] , et ses ennemis
avouaient qu’il ne s’était jamais abaissé à vendre à la richesse les
récompenses dues au mérite, et à frustrer les soldats de la paye ou des
gratifications qu’ils méritaient ou prétendaient avoir réclamer de la
libéralité du gouvernement [3373] .
La valeur et l’habileté dont il donna depuis des preuves dans la défense de
l’Italie contre les armées d’Alaric et de Radagaise peuvent paraître confirmer
ce que la renommée avait déjà publié de son mérite ; et dans un siècle moins
scrupuleux que le nôtre sur les lois de l’honneur ou celles de l’orgueil, les
généraux romains purent céder la prééminence du rang à la supériorité reconnue
du génie [3374] .
Stilichon déplora et vengea la mort de Promotus, son rival et son ami ; le
massacre de plusieurs milliers de Bastarnes est représenté par le poète comme
un sacrifice sanglant que l’Achille romain offrait aux mânes d’un second
Patrocle. Les vertus et les victoires de Stilichon éveillèrent la jalousie, et
la haine de Rufin ; les artifices, de la calomnie auraient peut-être prévalu,
si la tendre et vigilante Sérène n’avait protégé son mari contre ses ennemis
personnels tandis qu’il repoussait ceux de l’empire [3375] . Théodose ne
voulut point abandonner un indigne ministre à l’activité duquel il confiait le
gouvernement de son palais et de tout l’Orient ; mais quand il marcha contre
Eugène, le sage empereur associa son fidèle général aux travaux glorieux de la
guerre civile ; et dans les derniers instants de sa vie, le monarque expirant
lui recommanda le soin de ses deux fils et la défense de l’empire [3376] . Cette fonction
importante n’était point au-dessus des talents ni de l’ambition de Stilichon,
et il réclama la régence des deux empires durant la minorité d’Arcadius et
d’Honorius [3377] .
La première démarche de son administration, ou plutôt de son règne, annonça la
vigueur et l’activité d’un génie fait pour commander. Il passa les Alpes au
cœur de l’hiver, descendit le Rhin depuis le fort de Bâle jusqu’aux frontières
de la Batavie, examina l’état des garnisons, arrêta les entreprises des
Germains ; et, après avoir établi sur les bords du fleuve une paix honorable et
solide, il retourna au palais de Milan [3378] avec une rapidité incroyable. Honorius et sa cour obéissaient au maître
général de l’Occident ; et les armées et les provinces de l’Europe
reconnaissaient, sans hésiter, une autorité légale exercée au nom de leur jeune
souverain. Deux rivaux seulement disputaient les droits de Stilichon et
provoquaient sa vengeance. En Afrique, le Maure Gildon soutenait une insolente
et dangereuse indépendance et le ministre de Constantinople prétendait exercer
sur l’empire et l’empereur d’Orient un pouvoir égal à celui de Stilichon dans
l’Occident.
L’impartialité que Stilichon voulait montrer dans sa qualité
de tuteur des deux monarques, l’engagea à régler un partage égal des armes, des
bijoux, des meubles et de la magnifique garde-robe de l’empereur défunt [3379] ; mais l’objet
le plus important de la succession consistait dans les légions, les cohortes et
les escadrons nombreux de Romains et de Barbares que les succès de la guerre
civile avaient réunis sous les étendards de Théodose. Les animosités récentes
qui enflammaient les uns contre les autres les nombreux soldats tirés de
l’Europe et de l’Asie, se turent devant l’autorité d’un seul homme, et la sévère
discipline de Stilichon mit les citoyens et leurs possessions à l’abri de la
licence et de l’avidité des soldats [3380] .
Impatient toutefois de débarrasser l’Italie de cette armée formidable qui ne
pouvait être utile que sur les frontières de l’empire, il partit se rendre à la
juste demande du ministre d’Arcadius, déclara son intention de reconduire en
personne les troupes de l’Orient ; et profita habilement des rumeurs d’une
incursion des Goths,
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