Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
durant la marche triomphale, fut traité avec le respect
décent que Stilichon affecta toujours pour cette assemblée. Le peuple parut
flatté de l’affabilité d’Honorius, et de la complaisance avec laquelle il
assista plusieurs fois aux jeux du cirque, célébrés dans cette occasion avec
une magnificence qui pouvait les rendre dignes d’un tel spectateur. Dès que le
nombre fixe de courses de chars était accompli, la décoration changeait ; une
chasse d’animaux sauvages offrait un spectacle brillant et varié, et se
terminait par une danse militaires qui, d’après la description de Claudien,
paraît ressembler aux tournois modernes.
Dans ces jeux célébrés par Honorius, le sang des gladiateurs
souilla pour la dernière fois l’amphithéâtre de Rome [3468] . Le premier des
empereurs chrétiens avait eu la gloire de publier le premier édit qui condamna
ces jeux où l’on avait fait un art et un amusement de l’effusion du sang humain [3469] ; mais cette
loi bienfaisante, en annonçant les vœux du prince, ne réforma pas un si antique
abus, qui dégradait une nation civilisée au-dessous d’une horde de cannibales.
Plusieurs centaines, peut-être des milliers de victimes périssaient tous les
ans dans les grandes villes, et le trois de décembre, plus particulièrement
consacré aux combats des gladiateurs, offrait régulièrement aux yeux des
Romains enchantés ces barbares et sanglants spectacles. Tandis que la victoire
de Pollentia excitait les transports de la joie publique, un poète chrétien
exhorta l’empereur à détruire de son autorité un usage barbare qui s’était
perpétué malgré les cris de la religion et de l’humanité [3470] . Les
représentations pathétiques de Prudence furent moins efficaces que la généreuse
audace de saint Télémaque, moine asiatique, dont la mort fut plus utile au
genre humain que ne l’avait été sa vie [3471] .
Les Romains s’irritèrent de voir interrompre leurs plaisirs, et écrasèrent sous
une grêle de pierres le moine imprudent qui était descendu dans l’arène pour
séparer les gladiateurs : mais la fureur du peuple s’éteignit promptement
; il respecta la mémoire de saint Télémaque, qui avait mérité les honneurs du
martyre, et se soumit sans murmure à la loi par laquelle Honorius abolissait
pour toujours les sacrifices humains des amphithéâtres. Les citoyens, qui
chérissaient les usages de leurs ancêtres, alléguaient peut-être que les
derniers restes de l’ardeur martiale se conservaient dans cette école
d’intrépidité, qui accoutumait les Romains à la vue du sang et au mépris de la
mort. Vain et cruel préjugé, si honorablement réfuté parla valeur de l’ancienne
Grèce et de l’Europe moderne [3472] .
Le danger récent que l’empereur avait couru dans son palais
de Milan, le décida à choisir pour retraite quelque forteresse inaccessible de
l’Italie, où il pût résider sans craindre les entreprises d’une foule de
Barbares qui battaient la campagne. Sur la côté de : la mer Adriatique, environ
à dix ou douze milles de la plus méridionale des sept embouchures du Pô, les
Thessaliens avaient fondé l’ancienne colonie de Ravenne [3473] , qu’ils
cédèrent depuis aux natifs de l’Ombrie. Auguste, qui avait remarqué les
avantages de cette situation, fit construire, à trois milles de l’ancienne
ville, un vaste port capable de contenir deux cent cinquante vaisseaux de guerre,
Cet établissement naval, qui comprenait des arsenaux, des magasins, des
baraques pour les troupes et les logements des ouvriers, tire son origine et
son nom de la station permanente de la flotte romaine. Les places vides se
remplirent bientôt de bâtiments et d’habitants ; et les trois quartiers vastes
et peuplés de Ravenne contribuèrent insensiblement a former une des plus
importantes villes de l’Italie. Le principal canal d’Auguste conduisait à
travers la ville une partie des eaux du Pô jusqu’à l’entrée du port ; ces mêmes
eaux se répandaient dans des fossés profonds qui environnaient les murs : elles
se distribuaient, par le moyen d’un grand nombre de petits canaux, dans tous
les quartiers de la ville, qu’ils divisaient en autant d’îles séparées, et qui
n’avaient de communication que par des ponts ou des bateaux. Les maisons de
Ravenne étaient bâties sur pilotis, et l’aspect de cette ville pouvait être
comparé à celui qu’offre aujourd’hui Venise. Le pays des environs,
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