Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
honneurs les plus magnifiques. Toulun, assez éclairé pour
mépriser l’érudition chinoise, n’adopta que les arts et les institutions
favorables à l’esprit militaire de son gouvernement. Il campait durant l’été
dans les plaines fertiles qui bordent le Sélinga, et se retirait à l’approche
de l’hiver dans des contrées plus méridionales. Ses conquêtes s’étendaient
depuis la Corée jusque fort au-delà de l’Irtish. Il vainquit au nord de la mer
Caspienne la nation des Huns [3477] ; et le surnom de Kan ou Cagan annonça l’éclat et la puissance qu’il tira de
cette victoire mémorable.
En passant des bords du Volga à ceux de la Vistule, la
chaîne des événements se trouve interrompue, ou du moins cachée dans
l’intervalle obscur qui sépare les dernières limites de la Chine de celles de
la géographie romaine. Cependant le caractère de ces Barbares, et l’expérience
des émigrations précédentes, autorisent à croire que les Huns, après avoir été
vaincus par les Geougen, quittèrent bientôt le voisinage d’un vainqueur
insolent. Des tribus de leurs compatriotes occupaient déjà les environs de
l’Euxin, et leur fuite, qu’ils changèrent bientôt en une attaque hardie, dut
naturellement s6 diriger vers les plaines fertiles à travers lesquelles la
Vistule coule paisiblement jusque dans la mer Baltique. L’invasion des Huns
doit avoir alarmé de nouveau et agité le Nord ; et les nations qu’ils
chassaient devant eux sont venues sans doute écraser de leur poids les
frontières de la Germanie [3478] .
Les habitants des régions où les anciens placent les Suèves, les Vandales et
les Bourguignons, purent prendre la résolution d’abandonner aux Sarmates
fugitifs leurs bois et leurs marais, ou du moins de rejeter le superflu de leur
population sur les provinces de l’empire romain [3479] . Environ quatre
ans après que le victorieux Toulun eut pris le titre de kan des Geougen, un
autre Barbare, le fier Rhodogaste ou Radagaise [3480] , marcha de
l’extrémité septentrionale de la Germanie, presque jusqu’aux portes de Rome, et
laissa en mourant les restes de son armée pour achever la destruction de
l’empire d’Occident. Les Suèves, les Vandales et les Bourguignons, composaient
la principale force de cette armée redoutable ; mais les Alains, qui s’étaient
vus reçus avec hospitalité dans la contrée où ils étaient descendus, joignirent
leur active cavalerie à la pesante infanterie des Germains ; et les aventuriers
Goths accoururent en si grand nombre sous les drapeaux de Radagaise, que quelques
historiens lui ont donné le titre de roi des Goths. Un corps de douze mille
guerriers, distingués par leur naissance et par leurs exploits, composait la
première avant-garde de son armée [3481] ; et l’armée entière, forte de deux cent mille combattants, peut s’évaluer, en
y ajoutant les femmes, les enfants et les esclaves, à quatre cent mille
personnes. Cette effrayante émigration descendait de cette même côte de la mer
Baltique, d’où des myriades de Cimbres et de Teutons avaient fondu sur Rome et
sur l’Italie dans les temps glorieux de la république. Après le départ de ces
Barbares, leur pays natal, où ils laissaient des vestiges de leur grandeur, de
vastes remparts et des môles gigantesques [3482] ,
ne fut durant plusieurs siècles qu’une immense et effrayante solitude. Le genre
humain s’y multiplia peu à peu par la génération, et une nouvelle inondation
d’habitants vint remplir les vides du désert. Les nations qui occupent
aujourd’hui une étendue de terrain qu’elles ne peuvent cultiver, trouveraient
bientôt du secours dans la pauvreté industrieuse de leurs voisins, si les
gouvernements de l’Europe ne défendaient pas les droits du souverain et la
propriété des particuliers.
La correspondance entre les nations était dans ce siècle si
imparfaite, et si précaire, que la cour de Ravenne put ignorer les révolutions
du Nord jusqu’au moment où la tempête qui s’était formée sur la côte de la mer
Baltique, vint éclater avec violence sur les bords du Haut-Danube. Le monarque
de l’Occident, si ses ministres jugèrent à propos d’interrompre ses amusements
par la nouvelle du danger qui le menaçait, se contenta d’être l’objet et le
spectateur de la guerre [3483] .
La sûreté de Rome fut confiée à la valeur et à la sagesse de. Stilichon mais
tels étaient la faiblesse et l’épuisement de l’empire,
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