Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
à céder qu’à
obéir. Après la défaite de Radagaise, les deux tiers des Germains, qui devaient
composer plus de cent mille combattants, étaient encore sous les armes entre
les Alpes et l’Apennin, ou entre les Alpes et le Danube. On ne sait point s’ils
cherchèrent à venger la mort de leur général ; mais la prudence et la fermeté
de Stilichon, en arrêtant leur marche et favorisant leur retraite, détourna sur
un autre point leur impétuosité désordonnée. Principalement occupé de sauver
Rome et l’Italie, Stilichon sacrifiait avec trop d’indifférence les richesses
et la tranquillité des provinces éloignées [3498] .
Les Barbares acquirent de quelques déserteurs pannoniens la connaissance du
pays et des routes ; et l’invasion de la Gaule, projetée par Alaric, fut
exécutée par les restes de l’armée de Radagaise [3499] .
Cependant, s’ils avaient conçu l’espérance d’obtenir le
secours des Germains qui habitaient les bords du Rhin, cette espérance fut
déçue. Les Allemands conservèrent strictement la neutralité, et les Francs
firent briller leur valeur et leur zèle pour la défense de l’empire. Dans cette
rapide expédition sur Ie Rhin, qui°avait signalé les premiers instants de son
gouvernement, Stilichon s’était attaché, avec une attention particulière, aux moyens
de s’assurer l’alliance de cette nation guerrière, et d’en éloigner les ennemis
irréconciliables de la paix et de la république. Marcomir, un de leurs rois,
ayant été publiquement convaincu, devant le tribunal du magistrat romain,
d’avoir violé la foi des traités, fut banni de son pays par un exil peu
rigoureux dans la province de Toscane ; et cette dégradation de la royauté
excita si peu le ressentiment de ses sujets, qu’ils punirent de mort le
turbulent Sunno, qui voulait entreprendre de venger son frère, et obéirent avec
fidélité au prince placé sur le trône par le choix de Stilichon [3500] . Lorsque
l’émigration septentrionale vint tombée sur les confins de la Gaule et de la
Germanie, les Francs attaquèrent avec impétuosité les Vandales, qui, oubliant
les leçons de l’adversité, s’étaient encore séparés de leurs alliés. Ils
payèrent cher leur imprudence ; Godigisdus leur roi et vingt mille guerriers
furent tués sur le champ de bataille. Toute la nation aurait probablement été
détruite si les escadrons des Alains, accourant à leur secours, n’eussent passé
sur le corps de l’infanterie des Francs. Ceux-ci, après une honorable
résistance, furent contraints d’abandonner un combat inégal. Les alliés
victorieux continuèrent leur route ; et le dernier jour de l’année, dans une
saison où les eaux du Rhin étaient probablement glacées, ils entrèrent sans
opposition dans les provinces désarmées de la Gaule. Ce passage mémorable des
Suèves, des Vandales des Alains et des Bourguignons, qui ne se retirèrent plus,
peut être considéré comme la chute de l’empire romain dans les pays au-delà des
Alpes ; et dès ce moment, les barrières qui avaient se paré si longtemps les
peuples sauvages des nations civilisées, furent anéanties pour toujours [3501] .
Tandis que la fidélité des Francs et la neutralité des
Allemands semblaient assurer la paix de la Germanie, les sujets de Rome,
ignorant le danger qui les menaçait, jouissaient d’une douce sécurité, à
laquelle les frontières de la Gaule étaient peu accoutumées. Leurs troupeaux
paissaient librement sur le terrain des Barbares, et les chasseurs
s’enfonçaient sans crainte et sans danger, dans l’obscurité de la forêt
Hercynienne [3502] .
Les bords du Rhin étaient, comme ceux du Tibre, couverts de maisons élégantes
et de fermes bien cultivées ; et le poète qui descendit cette rivière, put
demander lequel des deux côtés appartenait aux Romains [3503] . Cette scène de
paix et d’abondance se changea tout à coup en un désert, et l’affreux aspect
des ruines fumantes distinguait seul les pays désolés- par les hommes, de ceux
que la nature, avait rendus solitaires. La florissante ville de Mayence fut
surprise et détruite, et des milliers de chrétiens furent inhumainement égorgés
dans l’église. Worms succomba, après un siège long et opiniâtre ; Strasbourg,
Spire, Reims, Tournai, Arras, Amiens, subirent, en gémissant, le joug des
cruels Germains ; et feu dévorant de la guerre s’étendit des bords du Rhin dans
la plus grande partie des dix-sept provinces de
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