Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
les rues, depuis l’Hippodrome jusqu’à la cathédrale, où il passa
le reste de la journée en pieuses actions de grâces [3814] .
Dans une monarchie qui, selon les différentes circonstances,
avait été considérée tantôt comme élective et tantôt comme héréditaire, il
n’était facile d’établir bien clairement [3815] ,
les limites des droits que pouvaient avoir au trône les lignes féminines et
collatérales ; et Théodose, par ceux de sa naissance ou par la force de ses
armes, se serait fait aisément reconnaître pour souverain légitime du monde
romain. Peut-être se laissa-t-il éblouir un moment par cette perspective d’une
domination sans bornes ; mais l’indolence de son caractère le ramena bientôt
aux principes d’une saine politique. Satisfait de posséder l’empire d’Orient,
il abandonna prudemment la tâche pénible de soutenir au-delà des Alpes une
guerre dangereuse contre les Barbares, et de veiller sans cesse à la soumission
de l’Afrique et de l’Italie, aliénée depuis longtemps par la différence du
langage et des intérêts. Au lieu d’écouter la voix de l’ambition, il résolut
d’imiter la modération de son aïeul, et de placer son cousin Valentinien sur le
trône de l’Occident. Le prince enfant avait d’abord été distingué à Constantinople
par le titre de nobilissimus . Avant de quitter Thessalonique, il fut
élevé au rang et à la dignité de César ; et après la conquête de l’Italie,
le patrice Hélion, par l’autorité de Théodose, et en présence du sénat, salua
Valentinien III du titre d’Auguste, et le revêtit solennellement de la pourpre
et du diadème [3816] .
Les trois sœurs qui gouvernaient le monde chrétien fiancèrent le fils de
Placidie avec Eudoxie, fille de Théodose et d’Athénaïs ; et, dès que l’un et
l’autre eurent atteint l’âge de puberté, cette alliance s’accomplit fidèlement.
En même temps, et probablement en compensation des frais de la guerre,
l’Illyrie occidentale cessa d’appartenir à l’Italie, et fit partie de l’empire
d’Orient [3817] .
Théodose acquit l’utile possession de la riche province maritime de Dalmatie,
et la souveraineté dangereuse de la Pannonie et de la Norique, désolées depuis
plus de vingt ans par les invasions continuelles des Huns, des Ostrogoths, des
Vandales et des Bavarois. Théodose et Valentinien respectèrent toujours les
devoirs de leur alliance publique et personnelle ; mais l’unité du gouvernement
du monde romain fut tout à fait anéantie ; et un édit unanime des deux
gouvernements déclara qu’à l’avenir les lois nouvelles ne seraient reconnues
que dans les États du prince qui les aurait, promulguées, à moins qu’il ne
jugeât à propos de les communiquer, signées de sa propre main à son collègue [3818] qui les
adopterait s’il le trouvait convenable.
Valentinien reçut le titre d’Auguste à l’âge de six ans ; et
sa mère, qui avait quelques droits personnels à l’empire, le gouverna, en
qualité de tutrice, durant la longue minorité de son fils. Placidie enviait,
sans pouvoir les égaler, la réputation et les talents de la femme et de la sœur
de Théodose, le génie et l’éloquence d’Eudoxie, la sagesse et les succès du
gouvernement de Pulchérie ; elle était jalouse du pouvoir, dont l’exercice
était au-dessus de ses forces [3819] .
Elle régna trente-cinq ans au nom de Valentinien ; et la conduite de ce
méprisable empereur autorisa à soupçonner que Placidie avait énervé sa jeunesse
en le livrant à une vie dissolue, et en l’éloignant avec soin de toute
occupation honorable et digne d’un homme. Au milieu de la décadence de l’esprit
militaire, on voyait à la tête des armées deux généraux [3820] , Ætius et
Boniface [3821] ; qu’on peut regarder avec raison comme les derniers des Romains : ils auraient
pu en réunissant leurs efforts, soutenir encore l’empire chancelant. La perte
de l’Afrique fut la suite funeste de leur jalousie et de leurs divisions. Ætius
s’est immortalisé par la défaite d’Attila ; et quoique le temps ait jeté un
voile sur les exploits de son rival, la défense de Marseille et la conquête de
l’Afrique attestent les talents militaires du comte Boniface. Il était la
terreur des Barbares soit sur un champ de bataille, dans les rencontres ou dans
les combats singuliers ; le clergé, et particulièrement son ami saint Augustin,
admirèrent la piété chrétienne qui avait
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