Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Maures, sans s’inquiéter de ce
qui pourrait en résulter par la suite, embrassèrent l’alliance des ennemis de
Rome ; une foule de sauvages nus sortirent de leurs forêts et des vallées du
mont Atlas, pour assouvir leur vengeance sur les tyrans civilisés qui avaient
injustement usurpé sur eux la souveraineté de leur terre natale.
La persécution des donatistes [3828] ne favorisa pas
moins l’entreprise de Genseric. Dix-sept ans avant sa descente en Afrique, on
avait tenu à Carthage une conférence publique, sous l’autorité du magistrat ;
les catholiques se persuadèrent qu’après les invincibles raisons qu’ils avaient
alléguées, les schismatiques ne pouvaient leur résister que par une obstination
volontaire et inexcusable, et Honorius se laissa persuader d’infliger les plus
rigoureux châtiments à une faction qui abusait depuis si longtemps de sa
douceur et de sa patience. On arracha de leurs églises trois cents évêques [3829] et des milliers
d’ecclésiastiques inférieurs ; ils furent dépouillés de toutes leurs
possessions ecclésiastiques ; bannis dans les îles et proscrits par la
loi, en cas qu’ils osassent se cacher dans les provinces de l’Afrique. Les
membres de leurs nombreuses congrégations, soit dans les villes soit dans les
campagnes, perdirent tous les droits du citoyen et tout exercice du culte
religieux. Tout individu convaincu d’avoir assisté à un conventicule de
schismatiques devait être puni par une amende soigneusement spécifiée et
calculée avec attention depuis dix livres d’argent jusqu’à deux cents, en
proportion de son rang et de sa fortune ; et celui qui s’exposait à payer cinq
fois l’amende sans se corriger, encourait le châtiment qu’il plaisait à la cour
impériale de lui infliger [3830] .
Ces rigueurs, très chaudement approuvées par saint Augustin [3831] , ramenèrent
dans le sein de l’Église un grand nombre de donatistes ; mais les fanatiques
qui persistèrent dans leur hérésie se livrèrent à tout l’emportement du
désespoir. Ce n’était de tous côtés que tumulte et que sang répandu ; des
troupes de circoncellions armés exerçaient alternativement leurs fureurs sur
eux-mêmes et sur leurs adversaires ; et la légende des martyrs fut de part et
d’autre considérablement augmentée [3832] .
Dans ces circonstances, les donatistes regardèrent Genseric chrétien, mais
opposé à la foi orthodoxe, comme un libérateur puissant dont ils pouvaient
raisonnablement espérer la révocation des édits odieux et vexatoires des
empereurs romains [3833] .
Le zèle actif ou l’appui d’une faction locale facilita la conquête de l’Afrique
; les outrages qu’on accusa les Vandales d’avoir commis sur le clergé et dans
les églises peuvent être imputés plus naturellement au fanatisme de leurs
alliés ; et l’esprit intolérant, qui avait déshonoré le triomphe du
christianisme contribua à la perte de la plus importante province de l’Occident [3834] .
Le peuple et la cour furent étonnés d’apprendre qu’un héros
vertueux, après avoir rendu tant de services et reçu tant de faveurs, eût
trahis sa foi, et invité les Barbares à détruire la province confiée à ses
soins. Les amis de Boniface, convaincus que sa conduite devait avoir quelque
motif excusable, sollicitèrent, durant l’absence d’Ætius, une conférence avec
le gouverneur d’Afrique et Darius, officier de distinction, se chargea de cette
ambassade [3835] .
Le mystère de toutes ces offenses imaginaires s’éclaircit à Carthage dès la
première entrevue ; on produisit et l’on compara les lettres contradictoires
d’Ætius, et sa perfidie fut évidente. Placidie et Boniface déplorèrent leur
erreur mutuelle. Le comte eut assez de grandeur d’âme pour se fier à sa
souveraine, ou pour braver le danger de son ressentiment. Ardent et sincère
dans son repentir, il s’aperçut bientôt avec douleur qu’il n’était plus en son
pouvoir de raffermir l’édifice qu’il avait ébranlé jusque dans ses fondements.
Carthage et les garnisons romaines rentrèrent avec leur général sous
l’obéissance de Valentinien ; mais la guerre et les factions déchiraient
toujours le reste de l’Afrique ; et l’inexorable roi des Vandales, dédaignant
toute espèce de composition, refusa durement d’abandonner sa proie. Boniface, à
la tête de ses vétérans et de quelques levées faites à la hâte, fut défait dans
une bataille, où il éprouva une
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