Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
craintes à un conquérant dont les aimées
formidables menaçaient les deux empires. Il satisfaisait à ses demandes ou
tâchait de les éluder. Lorsqu’il réclama les dépouilles d’une ville prise
d’assaut, quelques vases d’or frauduleusement détournés, les gouverneurs de la
Norique partirent aussitôt pour lui donner satisfaction [3919] ; et il est
évident, d’après leur conversation avec Maximin et Priscus, dans le village
royal, que la prudence et la valeur d’Ætius n’avaient pu éviter aux Romains de
l’Occident la honte du tribut. Sa politique adroite prolongeait les avantages
d’une paix nécessaire ; et il employait à la défense de la Gaule une nombreuse
armée de Huns et d’Alains, qui lui étaient personnellement attachés. Il avait
judicieusement placé deux colonnes de ces barbares sur les territoires de
Valence et d’Orléans [3920] ,
et leur active cavalerie gardait les passages du Rhône et de la Loire. Ces
sauvages alliés étaient à la vérité presque aussi redoutables pour les sujets
de Rome que pour ses ennemis : ils étendaient par la conquête et par la
violence le canton qui leur avait été accordé, et les provinces où ils
passaient éprouvaient toutes les calamités d’une invasion [3921] . Indifférents
pour l’empereur et pour l’empire, les Alains de la Gaule étaient aveuglément
dévoués à servir l’ambitieux Ætius ; et, quoiqu’il pût craindre que dans une
guerre contre Attila, ils ne repassassent sous les drapeaux de leur monarque
national, le patrice travailla plus à calmer qu’à exciter leur ressentiment
contre les Goths, les Francs et les Bourguignons.
Le royaume fondé par les Visigoths dans les provinces
méridionales de la Gaule avait insensiblement acquis de la force et de la
solidité ; la conduite de ces ambitieux Barbares exigeait ; soit en temps de
paix, soit en temps de guerre, la vigilance continuelle d’Ætius. Après la mort
de Wallia, Théodoric, fils du grand Alaric, hérita du trône [3922] ; et un règne
heureux de plus de trente ans sur un peuple inconstant et indocile, autorise à
penser que sa prudence était soutenue d’une vigueur extraordinaire de corps et
de génie. Resserré dans des limites trop étroites, Théodoric aspirait à la
possession de la ville d’Arles, le centre du commerce et le siège du
gouvernement ; mais l’approche d’Ætius sauva la place ; et le roi des Goths,
après avoir levé le siége avec quelque perte et un peu de honte, consentit, au
moyen d’un subside, à exercer la valeur de à ses sujets à la guerre d’Espagne.
Cependant Théodoric ne cessait d’épier, et saisit bientôt avec empressement
l’occasion de renouveler son entreprise. Les Goths assiégèrent Narbonne, tandis
que les Bourguignons faisaient une invasion dans les provinces de la Belgique,
et l’évidente intelligence des ennemis de Rome menaçait de toutes parts sa
sûreté. L’activité d’Ætius et sa cavalerie scythe surent leur opposer une
résistance couronnée par le succès. Vingt mille Bourguignons périrent les armes
à la main, et le reste de cette nation accepta humblement un asile dans les
montagnes de la Savoie, où ils reconnurent l’autorité de l’empire [3923] . Les machines
de guerre avaient déjà ébranlé les murs de Narbonne, et les habitants étaient
réduits par la famine aux dernières extrémités, lorsque le comte Litorius,
approchant en silence avec un corps nombreux de cavalerie, dont chaque homme
portait deux sacs de farine sur son cheval, pénétra dans la ville a travers les
retranchements des ennemis. Les Goths levèrent le siège, et perdirent huit
mille hommes dans une bataille, dont le succès décisif fût attribué aux
dispositions et à l’habileté personnelle d’Ætius ; mais dans l’absence du
patrice, que quelque affaire publique ou particulière rappela précipitamment en
Italie, le comte Litorius succéda au commandement ; et sa présomption fit
bientôt sentir qu’il ne suffit pas de savoir conduire un corps de cavalerie
pour diriger habilement les opérations d’une guerre importante. A la tête d’une
armée de Huns, il avança imprudemment jusqu’aux portes de Toulouse sans daigner
prendre de précautions contre un ennemi dont les revers avaient éveillé la
prudence, et à qui sa situation inspirait le courage du désespoir. Les
prédictions des augures inspiraient à Litorius une confiance impie convaincu
qu’il devait entrer en vainqueur dans la capitale
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