Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
de différer cette
conquête facile jusqu’au moment où il aurait achevé une entreprise plus
importante et plus glorieuse. La richesse et la fertilité de la Gaule et de
l’Italie devaient naturellement exciter l’avidité des Huns ; mais on ne peut
expliquer les motifs personnels d’Attila que par l’état de l’empire d’Occident
sous le règne de Valentinien, ou, pour parler plus correctement, sous
l’administration d’Ætius [3915] .
Après la mort de Boniface son rival, Ætius s’était
prudemment retiré dans le camp des Huns, et fut redevable à leur amitié de sa
sûreté et de son rétablissement. Au lieu d’employer le langage suppliant d’un
exilé coupable, Ætius sollicita son pardon à la tête de soixante mille Barbares
; et la facile résistance de Placidie prouva qu’elle accordait à la crainte un
pardon qu’on aurait pu attribuée à sa clémence. L’impératrice se mit elle, son
fils et l’empire, sous la tutelle d’un sujet arrogant, et ne conserva pas même
assez d’autorité pour protéger le gendre de Boniface, le fidèle et vertueux
Sébastien, contre un ennemi implacable, dont la vengeance le poursuivit de
royaume en royaume [3916] ,
jusqu’au moment où il perdit misérablement la vie au service des Vandales.
L’heureux Ætius élevé aussitôt au rang de patrice et revêtu trois fois des
honneurs du consulat, prit le titre de maître général de la cavalerie et de
l’infanterie, et s’empara de toute l’autorité militaire. Les écrivains de son
temps le nomment quelquefois duc ou général des Romains de l’Occident. Ce ne
fut point à la vertu d’Ætius, mais à sa prudence, que le petit-fils de Théodose
dut la conservation de la pourpre et du vain nom d’empereur. Il laissa
Valentinien jouir en paix des délices de l’Italie, tandis que le patrice se
montrait avec tout l’éclat d’un héros patriote, et soutint, durant vingt
années, les ruines d’un empire prêt à s’écrouler. L’historien des Goths avoue
qu’Ætius était fait pour sauver la république [3917] ; et le
portrait suivant, quoique flatté, contient cependant plus de vérité que
d’adulation. Sa mère était Italienne, d’une famille noble et opulente, et
son père, Gaudentius, qui tenait un rang distingué dans la province de Scythie,
s’éleva graduellement d’un poste de domesticité militaire au rang de maître
général de la cavalerie. Ætius, placé dans les gardes, presque dès son enfance,
fût donné comme otage, d’abord à Alaric et ensuite aux Huns. Il obtint
successivement les honneurs civils et militaires du palais, et partout il fit
briller un mérite supérieur. Il avait la figure noble et agréable ; sa taille
était moyenne, mais admirablement proportionnée pour la beauté, la force et
l’agilité. Il excellait dans, les exercices militaires, tels que de manier un
cheval, tirer de l’arc et lancer le javelot. Il savait supporter patiemment le
défaut de sommeil et de nourriture ; son corps et son âme étaient également
capables des plus pénibles efforts. Ætius méprisait les dangers et dédaignait
les injures, et il était impossible de tromper, de corrompre ou d’intimider la
noble fermeté de son âme [3918] .
Les Barbares qui s’étaient fixés à dans les provinces de l’Occident,
s’accoutumèrent peu à peu à respecter la valeur et la bonne foi d’Ætius. Il
calmait leur pétulance, caressait leurs préjugés, balançait leurs intérêts, et
mettait un frein à leur ambition. Un traité conclu avec Genseric arrêta les
Vandales prêts à entrer en Italie ; les Bretons indépendants implorèrent
son secours et reconnurent combien il leur avait été utile ; l’autorité
impériale fut rétablie en Espagne et dans la Gaule ; et après avoir vaincu les
Suèves et les Francs, il les força d’employer leurs armes à la défense de la
république.
Par politique autant que par reconnaissance, Ætius cultivait
assidûment l’amitié des Huns. Durant son séjour dans leur camp, comme otage ou
comme exilé, il vécut familièrement avec Attila, neveu de son bienfaiteur ; et
ces célèbres adversaires semblent avoir été liés d’une intimité et d’une sorte
de fraternité d’armés qu’ils confirmèrent dans la suite par des présents
mutuels et par de fréquentes ambassades. Carpilio, fils d’Ætius, fut élevé dans
le camp d’Attila. Le patrice cherchait, par des protestations d’attachement et
de reconnaissance, à déguiser ses
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