Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
offre séduisante, et, avec toutes
les apparences du zèle, se montra rempli d’empressement et sûr de son adresse
pour l’exécution de ce projet sanguinaire. On fit part de ce dessein au maître
des offices, et le dévot Théodose consentit au meurtre d’un ennemi qu’il
n’osait pas combattre. Mais la dissimulation ou le repentir d’Édecon fit
échouer ce lâche dessein ; et bien que peut-être la trahison qu’on lui avait
proposée ne lui eût pas inspiré d’abord autant d’horreur qu’il le prétendait,
il sut du moins se donner tout le mérite d’un aveu prompt et volontaire. Si
l’on se rappelle en ce moment l’ambassade de Maximin et la conduite d’Attila,
on sera forcé d’admirer un Barbare, qui respectant les lois de l’hospitalité,
reçoit et renvoie généreusement le ministre d’un prince qui a conspiré contre
sa vie : mais l’imprudence de Vigilius paraîtra bien plus extraordinaire ;
s’aveuglant sur son crime et sur le danger, il revint au camp des Huns,
accompagné de son fils et chargé de la bourse d’or que l’eunuque avait fournie
pour satisfaire aux demandes d’Édecon et corrompre la fidélité des gardes. A
l’instant de son arrivée, l’interprète fut saisi et traîné devant le tribunal
d’Attila, où il soutint son innocence avec fermeté jusqu’au moment où la menace
d’immoler son fils à ses yeux lui arracha l’aveu de toute la conspiration. Sous
le nom de rançon ou de confiscation, l’avide monarque des Huns accepta deux
cents livres d’or pour la rançon d’un misérable qu’il ne daigna pas punir. Il
dirigea toute son indignation contre un coupable d’un rang plus élevé. Ses
ambassadeurs, Eslaw et Oreste, partirent sur-le-champ pour Constantinople avec
des instructions dont il était moins dangereux pour eux de s’acquitter qu’il ne
l’eût été de s’en écarter. Ils se présentèrent hardiment devant Théodose avec
la bourse fatale pendue au cou d’Oreste, qui demanda à l’eunuque, placé à côté
du trône, s’il reconnaissait ce témoignage de son crime. Son collègue Eslaw,
supérieur à Oreste pour la dignité, était chargé des reproches adressés à
l’empereur. Théodose , lui dit-il gravement, est fils d’un père
illustre et respectable. Attila descend aussi d’une noble race, et il a soutenu
par ses actions la dignité que son père Mundzuk lui a transmise ; mais Théodose
s’est rendu indigne du rang de ses ancêtres ; en consentant à payer un tribut
honteux, il a consenti aussi à devenir esclave. Il doit donc respecter celui
que le mérite et la fortune ont placé au-dessus de lui, et non pas, comme un
esclave perfide, conspirer contre la vie de son maître . Le fils d’Arcadius,
accoutumé au langage des flatteurs, entendit avec surprise la voix sévère de la
vérité ; il rougit, trembla, et n’osa point refuser positivement la tête de
Chrysaphius, qu’Eslaw et Oreste avaient ordre de demander. Théodose fit partir
sur-le-champ de nouveaux ambassadeurs investis de pleins pouvoirs, et chargés
de présents magnifiques pour apaiser la colère d’Attila ; et la vanité du
monarque fut flattée du choix de Nomius et d’Anatolius, tous deux consulaires
ou patrices, l’un grand trésorier, et l’autre maître général des armées de
l’Orient. Il daigna venir au devant de ces ministres jusque sur les bords de la
rivière de Drenco ; et le ton sévère et hautain qu’il avait affecté d’abord ne
tint point contre leur éloquence et leur libéralité. Attila pardonna à
l’empereur, à l’eunuque et à l’interprète ; s’obligea par serment à observer
les conditions de la paix, rendit un grand nombre de prisonniers, abandonna à
leur sort les fugitifs et les déserteurs, et céda un vaste territoire au midi
du Danube, dont il avait tout enlevé jusqu’aux habitants. Mais avec ce qu’il en
coûta pour obtenir ce traité, on aurait pu entreprendre une guerre vigoureuse
et la terminer glorieusement. Les malheureux sujets de Théodose furent écrasés
de nouvelles taxes pour sauver la vie d’un indigne favori dont ils auraient
acheté plus volontiers la mort [3909] .
L’empereur Théodose ne survécut pas longtemps à la
circonstance la plus humiliante de son inutile vie. Comme il chassait en se
promenant à cheval aux environs de Constantinople, son cheval le désarçonna et
le jeta dans la rivière de Lycus. Blessé à l’épine du dos, Théodose expira peu
de jours après (28 juillet 450),
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