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Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain

Titel: Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Edward Gibbon
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calculé le nombre de bras que l’on peut employer au
service des armes : selon eux, un État serait bientôt épuisé, s’il
laissait ainsi dans l’oisiveté de l’état militaire plus de la cinquième partie
des sujets qui le composent ; mais, quelque uniforme que puisse être cette
proportion relative, l’influence de la puissance militaire sur le reste du
corps social sera toujours en raison de la force positive de l’armée. Les
avantages de la discipline et d’une tactique éclairée sont perdus, si les soldats
ne forment point un seul corps, si ce corps n’est pas animé par une seule âme.
Il est surtout essentiel de déterminera leur nombre. Ce n’est point avec une
petite troupe que l’on peut tirer parti d’une semblable union ; dans une
armée trop considérable, l’harmonie nécessaire pour les grandes entreprises ne
saurait subsister : l’extrême délicatesse des ressorts ne contribue pas moins
que leur pesanteur excessive à détruire la puissance de la machine. Une seule
réflexion suffit pour démontrer la vérité de cette remarque. En vain, la nature
l’art et l’expérience, donneraient à un homme une force extraordinaire, des
armes excellentes, une adresse merveilleuse ; malgré sa supériorité, il ne sera
jamais en état de tenir perpétuellement dans la soumission une centaine de ses
semblables. Le tyran d’une seule ville ou d’un domaine borné s’apercevra
bientôt que cent soldats armés sont une bien faible défense contre dix mille
paysans ou citoyens ; mais cent mille hommes de troupes réglées et bien
disciplinées commanderont avec un pouvoir despotique dix millions de sujets, et
un corps de dix ou quinze mille gardes imprimera la terreur à la populace la
plus nombreuse d’une capitale immense.
    Tel était à peine le nombre de ces gardes prétoriennes [360] , dont l’extrême
licence fut une des principales causes et le premier symptôme de la décadence
de l’empire. Leur institution remontait à l’empereur Auguste. Ce tyran
astucieux, persuadé que les lois pouvaient colorer une autorité usurpée, mais
que les armes seules la soutiendraient, avait formé par degrés ce corps
redoutable de gardes prêts à défendre sa personne, à en imposer au sénat, et à
prévenir les premiers mouvements d’une rébellion. Il leur accorda une double
paye et des prérogatives supérieures à celles des autres troupes. Comme leur
aspect formidable pouvait à la fois alarmer et irriter le peuple romain, ce
prince rien laissa que trois cohortes dans la capitale ; les autres
étaient dispersées [361] en Italie dans les villes voisines. Mais après cinquante ans de paix et de servitude,
Tibère crut pouvoir hasarder une mesure décisive qui rivât pour jamais les fers
de son pays. Sous lé prétexte spécieux de délivrer l’Italie de la charge des
quartiers militaires, et d’introduire parmi les gardes une discipline plus 
rigoureuse, il appela le corps entier auprès de lui. Les prétoriens restèrent
toujours dans le même camp [362] ,
que l’on avait fortifié avec le plus grand soin [363] , et qui, par sa
situation avantageuse, dominait sur toute la ville [364] .
    Des serviteurs si redoutables, toujours nécessaires au
despotisme, lui deviennent souvent funestes. En introduisant les gardes du
prétoire dans le palais et dans le sénat, les empereurs leur apprirent à
connaître leurs propres forces et la faiblesse de l’administration. Bientôt ces
soldats envisagèrent avec un mépris familier les vices de leurs maîtres, et ils
n’eurent plus pour la puissance souveraine cette vénération profonde que la
distance et le mystère peuvent seuls inspirer dans un gouvernement arbitraire.
Au milieu des plaisirs d’une ville opulente, leur orgueil se nourrissait du
sentiment de leur irrésistible force : il eût été impossible de leur
cacher que la personne du monarque, l’autorité du sénat, le trésor public, et
le siège de l’empire, étaient entre leurs mains. Dans la vue de les détourner
de ces idées dangereuses, les princes les plus fermes et les mieux établis se
trouvaient forcés de mêler les caresses aux ordres et les récompenses aux
châtiments. Il fallait flatter leur vanité, leur procurer des plaisirs, fermer
les yeux sur l’irrégularité de leur conduite, et acheter leur fidélité
chancelante, par des libéralités excessives. Depuis l’élévation de Claude, ils
exigèrent ces présents comme un droit légitime à l’avènement

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