Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
ses
accusateurs étaient des écrivains mercenaires adorateurs de la fortune de
Sévère, et qui foulaient aux pieds les cendres de son rival malheureux. La
vertu d’Albinus ou des apparences de vertu lui avaient attiré l’estime et la
confiance de Marc-Aurèle ; et s’il conserva la même influence sur l’esprit du fils,
on en pourrait conclure au moins qu’à était doué d’un caractère très flexible.
La faveur d’un tyran ne suppose pas toujours un défaut de mérite dans celui qui
en est l’objet : souvent le hasard, le caprice, la nécessité des affaires
publiques, ont porté des princes à récompenser des talents et des vertus qu’ils
étaient bien éloignés eux-mêmes de posséder.
Il ne parait pas qu’Albinus ait jamais été le ministre des
cruautés de Commode, ni même le compagnon de ses débauches. II était revêtu
d’un commandement honorable loin de la capitale, lorsqu’il reçut une lettre
particulière de l’empereur, qui lui faisait part des complots de quelques
officiers mécontents, et qui l’autorisait à se déclarer défenseur du trône et
successeur à l’empire, en prenant le titre et la dignité de César [378] . Le gouverneur
de Bretagne refusa sagement d’accepter un honneur dangereux qui l’aurait exposé
à la jalousie, et qui pouvait l’envelopper, dans la ruine prochaine de Commode.
Albinus employa, pour s’élever, des moyens plus nobles, ou au moins plus
imposants. Sur un bruit prématuré de la mort de l’empereur, il assembla ses
troupes, et, après avoir déploré les maux inévitables du despotisme, il leur
représenta, dans un discours éloquent, le bonheur et la gloire dont leurs
ancêtres avaient joui sous le gouvernement consulaire, et déclara qu’il était
fermement résolu de rendre au peuple et au sénat leur autorité légitime.
Cette harangue populaire fut reçue par les légions
britanniques avec des acclamations redoublées ; à Rome, elle excita des
applaudissements secrets. Tranquille possesseur d’une province séparée du
continent et à la tête d’une armée moins célèbre, il est vrai, par la
discipline que par le nombre et la valeur des soldats [379] , le gouverneur
de Bretagne brava les menaces de Commode, opposa une conduite équivoque à
l’autorité de Pertinax et leva l’étendard contre Julianus, dès que ce prince
eut usurpé la couronne. Les convulsions de la capitale donnaient encore plus
d’autorité aux sentiments patriotiques d’Albinus, ou plutôt à ses professions
de patriotisme. La décence lui défendit de prendre les titres pompeux d’Auguste
et d’empereur. Il voulut peut-être imiter l’exemple de Galba, qui, dans une
circonstance pareille, s’était fait appeler le lieutenant du sénat et du peuple [380] .
Le mérite personnel de Pescennius Niger avait fait oublier
sa naissance obscure ; et l’avait élevé d’un emploi médiocre au gouvernement de
la Syrie, poste important et très lucratif, qui, dans des temps de guerre
civile, pouvait lui frayer le chemin au trône. Cependant il paraissait plus
fait pour briller au second rang que pour occuper le premier. Incapable de
commander en chef, il aurait été le meilleur lieutenant de Sévère, qui eut dans
la suite assez de grandeur d’âme pour adopter plusieurs institutions utiles
d’un ennemi vaincu [381] .
Niger, dans son gouvernement, gagna l’estime des troupes et
l’amour de la province. Sa discipline rigide affermissait la valeur et fixait
l’obéissance des soldats, tandis que les voluptueux Syriens se laissaient
charmer, moins par la douce fermeté de son administration, que par l’affabilité
de ses manières, et le goût qu’il paraissait prendre à leurs fêtes splendides
et nombreuses [382] .
Dés que l’on, apprit à Antioche le meurtre atroce de
Pertinax, toute l’Asie se tourna vers Niger pour l’inviter à venger la mort de
ce prince, et le désigna comme son successeur au trône. Les légions de l’Orient
embrassèrent sa cause. Depuis les frontières d’Éthiopie [383] jusqu’à la mer
Adriatique, les provinces riches, mais désarmées, de cette partie de l’empire
se soumirent avec joie à son obéissance. Enfin les rois dont les États étaient
situés au delà du Tigre et de l’Euphrate, le félicitèrent sur son élection et
lui offrirent leurs services.
Niger, comblé tout à coup des biens de la fortune, n’avait
point l’âme assez forte pour soutenir une révolution si subite. Il se flatta
qu’il
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