Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
la dignité de César : sachant distinguer les devoirs
d’un père de ceux d’un souverain, il lui donna une éducation simple à la fois
et sévère, qui, ne lui donnant pas l’espérance certaine d’arriver au trône,
pouvait le rendre un jour plus digne d’y monter. En public, la conduite de
Pertinax était grave et en même temps affable. Tandis qu’il n’était encore que
simple particulier, il avait étudié le véritable caractère des sénateurs : les
plus vertueux approchèrent seuls de sa personne lorsqu’il fut sur le
trône : il vivait avec eux sans orgueil et sans jalousie ; il les
considérait comme des amis et des compagnons dont il avait partagé les dangers
pendant la vie du tyran, et avec lesquels il désirait jouir des douceurs d’un
temps plus fortuné. Souvent il les invitait à venir goûter, dans l’intérieur de
son palais, les plaisirs sans faste, dont la simplicité paraissait ridicule à
ceux qui se rappelaient le luxe effréné de Commode [352] .
Guérir, autant que cela était possible, les, blessures
faites à l’État par la main de la tyrannie, devint la tâche douce, mais triste,
que s’imposa Pertinax. Les victimes innocentes qui respiraient encore, furent
rappelées de leur exil, tirées de leur prison, et remises en possession de
leurs biens et de leurs dignités. Loin d’être assouvie par la mort de ses
ennemis, la cruauté de Commode s’étendait jusque dans le tombeau :
plusieurs sénateurs massacrés par des ordres n’avaient point eu les honneurs de
la sépulture ; leurs cendres furent rendues au tombeau de leurs ancêtres,
leur mémoire fut réhabilitée, et l’on n’épargna rien pour consoler leurs
familles ruinées et plongées dans l’affliction. La consolation la plus douce à
leurs yeux était le supplice des délateurs, ces ennemis dangereux de la vertu
du souverain et de la patrie : cependant, même dans la poursuite de ces
assassins armés du glaive de la loi, Pertinax tira d’une modération ferme qui
donnait tout à l’équité, et ne laissait rien à la vengeance ni aux préjugés du
peuple.
Les finances de l’État exigeaient une attention
particulière. Quoique l’on eût épuisé toutes les ressources de l’injustice et
de l’exaction pour faire entrer les biens des sujets dans les coffres du
prince, l’avidité insatiable de Commode n’avait pu suffire à son extravagance.
A sa mort, il ne se trouva dans le trésor que cent huit mille livres sterling,
somme bien modique [353] pour fournir aux dépenses ordinaires du gouvernement, et pour remplir les
obligations contractées par le nouvel empereur, qui avait été forcé de
promettre aux prétoriens des largesses considérables. Cependant, malgré son
embarras, Pertinax eut le généreux courage de remettre au peuple les impôts
onéreux créés par son prédécesseur et de révoquer toutes les demandes injustes
des trésoriers de l’empire. Il déclara dans un décret du sénat, qu’il aimait
mieux gouverner avec équité une république pauvre, que d’acquérir des richesses
par des voies tyranniques et déshonorantes . Persuadé que les véritables et
les plus pures sources de l’opulence sont l’économie et l’industrie, il se trouva
bientôt en état, par ces sages moyens, de satisfaire abondamment aux besoins
publics. La dépense du palais fut d’abord réduite de moitié : l’empereur
méprisait tous les objets de luxe ; il fit vendre publiquement [354] la vaisselle
d’or et d’argent, des chars d’une construction singulière, des habits brodés,
des étoffes de soie, et un très grand nombre de beaux esclaves de l’un et de
l’autre sexe ; il en excepta seulement, avec une humanité attentive, ceux qui,
nés libres, avaient été arrachés d’entre les bras de leurs parents éplorés.
En même temps, qu’il obligeait les indignes favoris du tyran
à restituer une partie de leurs biens acquis par des voies
illégitimes, il satisfaisait les véritables créanciers de l’État, et payait les
arrérages accumulés des sommes accordées aux citoyens qui avaient rendu des
services à leur patrie ; il rétablit la liberté du commerce ; enfin,
il céda toutes les terres incultes de I’Italie et des provinces à ceux qui
voudraient les défricher ; et il les exempta en même temps de toute
imposition pendant dix ans [355] .
Une conduite si sage assurait’, à Pertinax la récompense la
plus noble pour un souverain, l’amour
Weitere Kostenlose Bücher