Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
ses amis les particularités suivantes [4008] : Par la
majesté de sa personne, Théodoric obtiendrait le respect même de ceux qui ne
connaîtraient pas son mérite ; et, né prince, il a par son mérite de quoi
s’attirer le respect et dans une condition privée. Il a dans sa taille moyenne
de l’embonpoint sans trop d’épaisseur et la juste proportion de ses membres
nerveux réunit la force à l’agilité [4009] .
En le détaillant, vous lui trouvez le front élevé, des sourcils épais, un nez
aquilin, des lèvres minces ; deux rangées de dents très belles, et un teint
fort blanc, plus fréquemment animé par la modestie que par la colère. Telle
est, autant que le public peut en juger, la manière dont il distribue son temps
: Théodoric, accompagné d’un très petit nombre de ses domestiques, se rend
avant le jour dans la chapelle de son palais, desservie par le clergé arien ;
mais ceux qui prétendent pénétrer ses véritables sentiments ne considèrent
cette assiduité de dévotion que comme un effet de d’habitude et de la
politique. L’administration de son royaume occupe le resté de sa matinée. Son
siége est environné de quelques officiers militaires remarquables par la
décence de leur conduite et de leur maintien. La troupe bruyante des Barbares
qui composent sa garde remplit la salle d’audience, mais ne peut pénétrer dans
l’enceinte des voiles ou rideaux qui dérobent aux yeux de la multitude la
chambre du conseil. On introduit successivement les ambassadeurs étrangers.
Théodoric écoute avec altération, répond en peu de mots, et, selon la nature
des affaires, le monarque annonce ou différé sa dernière résolution. A la
seconde heure (environ huit heures) , il quitte son trône pour aller
visiter son trésor ou ses écuries. Lorsqu’il part pour la chasse ou pour se
promener à cheval, un de ses jeunes favoris porte son arc ; mais dès que la
chasse commence, Théodoric le tend lui-même, et manque rarement le but où il à
visé. Comme roi, il dédaigne de porter les armes dans une guerre si peu
honorable ; mais comme soldat il rougirait d’accepter un service militaire
qu’il peut exécuter. Dans les jours ordinaires, ses repas ne différent point de
ceux d’un simple citoyen ; mais tous les samedis il invité à sa table un
grand nombre d’honorables convives, et elle est servie dans ces occasions avec
l’élégance de la Grèce, l’abondance de la Gaule, l’ordre et la promptitude
qu’on remarque en Italie. Sa vaisselle d’or et d’arpent est moins remarquable
par son poids que par son état et la perfection du travail. Les mets, pour
satisfaire le goût, n’ont point recours au luxe ruineux des productions
étrangères. Le nombre et la grandeur des coupes remplies de vin distribuées aux
convives sont exactement réglés d’après les lois de la tempérance ; et le
silence respectueux qui règne dans ces repas n’est jamais interrompu que par
une conversation instructive. Après le dîner, Théodoric se livre quelquefois un
moment au sommeil, et à son réveil, il demande des tables et des dés. Alors il
engage ses amis à oublier le monarque, et il prend plaisir à leur voir exprimer
librement les mouvements qu’élèvent en eux les divers incidents du jeu.
Lui-même, à ce jeu qui lui plait comme l’image de la guerre, déploie
alternativement son ardeur, son habileté, sa patience et sa gaîté. Toujours
riant quand il perd, lorsqu’il gagne il garde un modeste silence. Cependant,
malgré cette indifférence apparente, ses courtisans saisissent le moment où il
est victorieux pour solliciter des faveurs ; et moi-même, dans les choses que
j’ai pu avoir à demander au roi, j’ai quelquefois eut lieu de me féliciter de
mes pertes [4010] .
A la neuvième heure (environ trois heures) , les affaires reprennent leur
cours sans interruption jusque après le soleil couché ; alors l’ordre donné
pour le souper du roi écarte la foule importune des plaideurs et des
suppliants. Durant le souper, où l’on jouit d’une plus grande familiarité, on
introduit quelquefois des pantomimes et des bouffons pour divertir la
compagnie, et non pour l’offenser par des saillies impertinentes ; mais
les chanteuses et toute musique langoureuse ou efféminée sont sévèrement
bannies. Les airs qui peuvent animer la valeur sont les seuls qui puissent
flatter l’oreille et l’âme de Théodoric. Lorsqu’il sort de table, les gardes
prennent aussitôt leurs
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