Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
glorieuse pour lui une
médiation dont son pays tira quelque avantage ; mais Rome et ses habitants n’en
furent pas moins la proie des Maures et des Vandales, et les nouveaux habitants
de Carthage vengèrent ses anciennes injures. Le pillage continua durant
quatorze jours et quatorze nuits ; et Genseric fit ensuite soigneusement
transporter sur ses vaisseaux tout ce qui resta de richesses publiques et de
celles des particuliers, des trésors de l’Église et de ceux de l’État. Parmi
les dépouilles, les ornements précieux de deux temples ou plutôt de deux
religions offrirent un exemple mémorable de la vicissitude des choses humaines
et divines. Depuis l’abolition du paganisme, le Capitole profane avait été
abandonné, mais on respectait encore les statues des dieux et des héros ; et la
magnifique voûte de bronze doré attendait les mains avides de Genseric [3998] . Les
instruments sacrés du culte des Juifs [3999] ,
la table d’or, le chandelier d’or à sept branches, originairement construits
d’après les instructions de Dieu lui-même, et qui étaient placés dans le
sanctuaire de soir temple, avaient été offerts avec ostentation en spectacle
aux Romains dans le triomphe de Titus, et déposés ensuite dans le temple de la
paix. Après quatre siècles, les dépouilles de Jérusalem furent transportées de
Rome à Carthage par un Barbare qui tirait son origine des côtes de la mer
Baltique. Ces anciens monuments pouvaient attirer l’attention de la curiosité
aussi justement que celle de l’avarice. Les églises chrétiennes, ornées et
enrichies parla dévotion de ces temps, offrirent une proie plus abondante à des
mains sacrilèges, et la pieuse libéralité du pape Léon, qui fondit ses vases
d’argent, chacun du poids de cent livres, donnés par le grand Constantin, est une
preuve de la perte qu’il tâchait de réparer. Dans les quarante-cinq ans qui
s’étaient écoulés depuis l’invasion des Goths, Rome avait presque repris sa
première magnificence, et il était difficile de tromper ou se rassasier
l’avarice d’un conquérant qui avait le loisir d’enlever les richesses de la
capitale, et des vaisseaux pour les transporter. Les ornements du palais
impérial, les meubles, la magnifique garde-robe des empereurs, la vaisselle,
tout fut entassé sans distinction. L’or et l’argent montèrent à plusieurs
milliers de talents, et les Barbares ne négligèrent cependant ni le cuivre ni
l’airain. Eudoxie elle-même paya chèrement son imprudence. On la dépouilla
brutalement de ses bijoux au moment où elle venait au devant de son libérateur
et de son allié. L’impératrice et ses deux filles, seuls restes de la famille
du grand Théodose, furent forgées de suivre comme captives le sauvage Vandale,
qui mit aussitôt à la voile, et rentra dans le port de Carthage après une
heureuse navigation [4000] .
Les Barbares entraînèrent sur leurs vaisseaux des milliers de Romains des deux
sexes, choisis parmi ceux dont on pouvait espérer, de tirer quelque utilité où
quelque agrément ; et dans le partage des captifs les maris furent
impitoyablement séparés de leurs femmes, et les pères de leurs enfants. Ils ne
trouvèrent d’appui et de consolation que dans la charité de Deogratias, évêque
de Carthage [4001] .
Il vendit les vases d’or et d’argent de son église, racheta les uns, adoucit
l’esclavage des autres, soigna les malades, et fournit aux différents besoins
d’une multitude dont la santé avait beaucoup souffert dans le passage d’Italie
en Afrique. Le digne prélat convertit deux vastes églises en hôpitaux, y plaça
commodément tous les malades, et se chargea de leur procurer en abondance la
nourriture et les médicaments nécessaires à leur état. Deogratias, quoique d’un
âge très avancé, les visitait exactement le jour et la nuit. Son courage lui
prêtait des forces, et sa tendre compassion ajoutait un prix inestimable à ses
services. Comparons cette scène avec les champs de Cannes, et jugeons entre
Annibal et le successeur de saint Cyprien [4002] .
La mort d’Ætius et de Valentinien avait relâché les liens
qui contenaient les Barbares de la Gaule. Les Saxons infestaient la côte
maritime ; les Allemands et les Francs, s’avançaient des bords du Rhin sur ceux
de la Seine ; et l’ambition des Goths semblait méditer des conquêtes plus
solides et plus étendues. Maxime s’était débarrassé, par un choix judicieux, du
soin de veiller
Weitere Kostenlose Bücher