Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
croix par leurs lois et par leurs victoires ; l’Angleterre
produisit l’apôtre de la Germanie ; et la lumière de l’Évangile se rependit
insensiblement depuis les bords du Rhin jusqu’aux nations voisines de l’Elbe,
de la Vistule et de la mer Baltique.
Il n’est pas aisé d’établir les différents motifs, soit de
raison soit de passion, qui purent contribuer à la conversion des Barbares ; le
caprice, un accident, un songe, un présage ou le récit d’un miracle, l’exemple
d’un prêtre ou d’un héros, les charmes d’une épouse pieuse, et plus encore le
succès d’une prière ou d’un vœu adressé au Dieu des chrétiens dans le moment du
danger [4214] .
Le torrent, l’habitude et la société, effacèrent insensiblement les préjugés de
l’enfance et de l’éducation ; les vertus extravagantes des moines soutinrent les
préceptes moraux de l’Évangile, et la théologie spirituelle se maintint par
l’influence des reliques et de la pompe du culte religieux : mais les
missionnaires qui travaillaient à la conversion des infidèles ont pu employer
quelquefois un moyen de persuasion ingénieux et sensé, qui fut suggéré à un
saint par un évêque saxon [4215] . Admettez , dit cet habile controversiste, sur toutes les fables qu’ils
racontent de la généalogie de leurs dieux et déesses engendrés les uns par les
autres ; partez de ce principe pour démontrer l’imperfection de leur nature et
leurs infirmités humaines, pour prouver que, puisqu’ils sont nés, il est
probable qu’ils mouront. Dans quels temps, par quel moyen, par quelle cause le
plus ancien de leurs dieux ou de leurs déesses a-t-il été produit ?
Continuent-ils, ou ont-ils cessé d’engendrer ? S’ils n’engendrent plus, sommez
votre adversaire de vous rendre raison d’un changement si extraordinaire. S’ils
engendrent encore, le nombre des dieux doit se multiplier à l’infini : et ne
peut on pas risquer d’exciter le ressentiment de quelque dieu supérieur, en
adorant imprudemment une divinité impuissante ? Le ciel, la terre, et tout le
système de l’univers, tel qu’il est susceptible d’être conçu par l’esprit
humain sont-ils créés ou éternels ? S’ils ont été créés, où et comment les
dieux pouvaient-ils exister avant la création ? Si, au contraire, l’univers est
éternel, comment les dieux ont-ils donner des lois à un monde qui existait
avant eux et indépendamment de leur pouvoir ? Servez-vous de ces arguments avec
modération, faites sentir, dans les occasions favorables, la vérité et beauté
de la révélation chrétienne et tâchez de confondre les incrédules sans exciter
leur colère . Ce raisonnement métaphysique, et trop raffiné peut-être
pour des Barbares de la Germanie, était fortifié par l’autorité plus sensible
du consentement populaire. La fortune avait abandonné les païens, elle avait
passé du côté du christianisme ; et la nation romaine, la plus puissante et la
plus éclairée du globe, avait renoncé à son ancienne superstition. Si les
ruines de l’empire semblaient accuser l’impuissance de la nouvelle religion, la
conversion des Goths victorieux détruisait toute la valeur de cet argument. Les
braves et heureux Barbares qui envahirent l’empire d’Occident, reçurent et
offrirent successivement les mêmes exemples d’édification. Avant le siècle de
Charlemagne, les nations chrétiennes de l’Europe purent se glorifier de
posséder tous les climats tempérés, et les plus fertiles qui produisent
l’huile, les blés et les vins, tandis que les sauvages idolâtres et leurs
idoles impuissantes se -trouvaient confinés aux extrémités de la terre dans les
froides et sombres régions du Nord [4216] .
Le christianisme, en même temps qu’il ouvrit aux Barbares
les portes du ciel, opéra une grande révolution dans leur état moral et
politique. Ils acquirent l’usage des lettres, si essentiel à une religion dont
la doctrine est contenue dans un livre sacré ; et, en étudiant les vérités
divines, leur esprit s’agrandissait par la connaissance de l’histoire, de la
pâture, des arts et de la société. La traduction de la sainte Écriture dans
leur langue nationale, après avoir facilité leur conversion, put donner à leur
clergé l’envie de lire le texte original, de comprendre la liturgie de l’Église,
et d’examiner dans les écrits des Pères la chaîne de la tradition
ecclésiastique. Ces dons spirituels se conservaient
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