Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
dans les langues grecque et
latine, qui recélaient les monuments inestimables des anciennes lumières. Les
productions immortelles de Virgile, de Cicéron et de Tite-Live devinrent
accessibles aux chrétiens barbares, et établirent silencieusement, à travers
les générations, une sorte de commerce entre le règne d’Auguste et les temps de
Clovis et de Charlemagne. Le souvenir d’un état plus parfait, alluma
l’émulation des hommes, et le feu sacré de la science se conserva en secret
pour enflammer et éclairer un jour les nations de l’Occident. Quelque corrompu
qu’ait été leur christianisme, les Barbares trouvaient dans la foi des
principes d’équité, et dans l’Évangile des préceptes de charité et
d’indulgence ; et si la connaissance de leur devoir ne suffisait pas pour
diriger leurs actions ou pour régler leurs passions, ils étaient retenus
quelquefois par la conscience, et souvent punis par le remords ; mais
l’autorité immédiate de la religion avait moins d’empire sur eux que la
confraternité qui les unissait avec tous les chrétiens. L’influence de ce
sentiment contribuait à maintenir leur fidélité au service ou à l’alliance des
Romains, à adoucir les horreurs de la guerre, à modérer les rigueurs de la
conquête, et à conserver dans la chute de l’empire le respect du nom et des
institutions de Rome. Dans les jours du paganisme les prêtres de la Gaule et de
la Germanie commandaient au peuple, et contrôlaient la juridiction des
magistrats. Les prosélytes zélés poussèrent encore plus loin l’obéissance pour
les pontifes de la foi chrétienne. Le caractère sacré des évêques tirait encore
de l’autorité de leurs possessions temporelles ; ils occupaient une place
honorable, dans les assemblées législatives des soldats et des hommes libres ;
et il était de leur intérêt autant que de leur devoir d’adoucir par leurs
conseils pacifiques la férocité des Barbares. La correspondance continuelle du
clergé latin, les pèlerinages fréquents de Rome et de Jérusalem, et l’autorité
naissante des papes, cimentèrent l’union de la république chrétienne, et
produisirent insensiblement cette unité de morale et de jurisprudence qui s’est
conservée entre les nations de l’Europe moderne, bien qu’indépendantes et
souvent ennemies les unes des autres, et les a distinguées du reste du genre
humain.
Mais l’opération de ces causes bienfaisantes fut longtemps
arrêtée et ralentie par l’effet du malheureux hasard qui avait infecté d’un
poison mortel la coupe du salut. Quels qu’aient été les premiers sentiments
d’Ulphilas, ses liaisons avec l’empire et avec l’Église s’étaient formées
durant le règne de l’arianisme. L’apôtre des Goths signa la confession de foi
de Rimini, soutint publiquement, et peut-être de bonde foi, que le fils n’était ni égal ni consubstantiel au père [4217] ; communiqua
cette erreur au peuple et au clergé, et infecta toutes les nations barbares
d’une hérésie [4218] que Théodose le Grand avait proscrite et éteinte chez les Romains. Le caractère
et l’intelligence des nouveaux prosélytes les rendaient peu propres à s’occuper
des subtilités métaphysiques ; mais ils défendaient avec fermeté les principes
qu’ils avaient pieusement reçus comme la véritable doctrine du christianisme.
L’avantage de prêcher et d’interpréter les saintes Écritures en langue
teutonique, facilita les succès apostoliques d’Ulphilas et de ses successeurs ;
et ils ordonnèrent un nombre suffisant d’évêques été de prêtres pour instruire
les tribus de leurs compatriotes. Les Ostrogoths, les Bourguignons les Suèves
et les Vandales, préférèrent à l’éloquence du clergé latin les leçons plus
intelligibles de leurs prédicateurs nationaux [4219] , et les
belliqueux convertis qui s’étaient établis sur les ruines de l’empire
d’Occident, adoptèrent l’arianisme pour leur foi nationale. Cette différence de
religion était une source perpétuelle de haine et de soupçons ; au nom
insultant de Barbare on ajoutait l’épithète encore plus odieuse d’ hérétique ; et les héros du Nord, après avoir adopté avec quelque répugnance une doctrine
qui condamnait leurs ancêtres aux supplices de l’enfer [4220] , apprirent avec
autant d’indignation que de surprise qu’ils n’avaient fait que changer de
manière de se précipiter dans la damnation éternelle. Au lieu de ces
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