Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
meurtre d’un prince et celui d’un paysan mais
l’inégalité établie par les Francs dans leur procédure criminelle fut la
dernière insulte et le plus cruel abus de la victoire [4347] . Ils
prononcèrent dans le calme de la réflexion et arrêtèrent légalement que la vie
d’un Romain était moins précieuse que celle d’un Barbare. L’antrustion [4348] , dont le nom
annonçait la naissance ou la dignité la plus illustre parmi les Francs, était
apprécié à la somme de six cents pièces d’or ; tandis que la somme de trois
cents pièces était la compensation légale du meurtre d’un noble romain que les
rois admettaient à leur table ; deux cents pièces expiaient le meurtre d’un
simple Franc ; mais la vie d’un Romain des dernières classes, estimée au prix
de cent ou même de cinquante pièces, était peu garantie par cette déshonorante
compensation. Si l’équité ou la raison avaient pu se faire entendre dans la
composition de ces lois, la protection publique aurait augmenté en proportion
de la faiblesse et du danger des citoyens ; mais le législateur pesait dans la
balance de la politique, et non de la justice, la perte d’un guerrier et celle
d’un esclave. La tête d’un Barbare avide et arrogant était assurée par une
amende considérable tandis que la vie d’un sujet faible et pacifique n’obtenait
qu’une faible protection. Après un certain temps les vaincus devinrent moins
dociles et les vainqueurs moins orgueilleux. L’expérience apprit aux plus fiers
d’entre eux que l’impunité dont ils profitaient quelquefois, les exposait à
plus de dangers qu’ils n’en pouvaient faire courir aux autres. A mesure, que
les Francs devinrent moins féroces, leurs lois devinrent plus sévères, et les
rois mérovingiens essayèrent d’introduire dans leurs États la rigueur
impartiale des Visigoths et des Bourguignons [4349] . Sous le règne
de Charlemagne, le meurtre fut universellement puni de mort ; et les peines
capitales se multiplièrent depuis plus que suffisamment dans la jurisprudence
de l’Europe moderne [4350] .
Les Francs réunirent les professions civiles et militaires
que Constantin avait séparées. On substitua les titres latins de ducs, de
comtes et de préfets, aux dénominations barbares de la langue teutonique ; et
le même officier fut chargé, dans son district, au commandement des troupes et
de l’administration de la justice [4351] ; mais l’office de juge, qui demande toutes les lumières d’un esprit
philosophique cultivé avec soin par l’étude et l’expérience, se trouvait
rarement bien placé entre les mains de ces chefs ignorants et barbares, et leur
ignorance les força de recourir à quelque méthode simple qui pût leur faire distinguer
visiblement le bon droit. Dans tous les temps et dans toutes les religions, on
a eu recours à la Divinité pour confirmer la vérité et punir les témoignages
mensongers ; mais la simplicité des législateurs germains abusa de ce puissant
moyen. L’accusé passait pour justifié, lorsqu’un certain nombre de témoins
assuraient devant le tribunal étaient sûrs ou même persuadés de son innocence.
Plus l’accusation était grave, et plus il fallait, pour s’en laver, de témoins
à décharge. Il fallait soixante-douze voix pour disculper un incendiaire ou un
assassin ; et, dans une circonstance où la chasteté d’une reine de France parut
suspecte, trois cents nobles jurèrent galamment, sans hésiter, que l’enfant
dont elle était accouchée appartenait légitimement au défunt Chilpéric [4352] . La fréquence
et le scandale des parjures manifestes qu’occasionnait cette sorte de jugement
déterminèrent les magistrats à éloigner une tentation si dangereuse, et à
suppléer a l’incertitude des témoignages par les fameuses preuves du feu et de
l’eau. Ces étranges procédures étaient si arbitrairement combinées, que, dans
beaucoup d’occasions, le crime, et dans d’autres, l’innocence, ne pouvait se
découvrir sans le secours d’un miracle. La fraude et la crédulité y pourvurent
bientôt. Les causes les plus obscures se décidaient par cette méthode facile et
jugée infaillible ; et les Barbares indociles, qui auraient dédaigné la
sentence d’un magistrat, se soumettaient sans murmure au jugement du ciel [4353] .
Mais les épreuves du combat singulier obtinrent bientôt une
confiance et une autorité supérieures chez un peuple qui ne croyait pas que
l’homme vaillant
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