Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
nation
victorieuse [4394] .
La monarchie resta, sans aucun règlement de justice, de finances ou de service
militaire. Les successeurs de Clovis manquèrent du courage nécessaire pour
s’emparer du pouvoir législatif que le peuple avait abandonné, ou de forces
pour l’exercer. Les prérogatives royales se bornaient à un privilège plus
étendu de meurtre et de rapine ; et l’amour de la liberté, si souvent ranimé et
déshonoré par l’ambition personnelle, se réduisit, parmi les Francs, au mépris
de l’ordre et au désir de l’impunité. Soixante-quinze ans après la mort de
Clovis, son petit-fils Gontran, roi de Bourgogne, fit marcher une armée pour
envahir les possessions des Goths du Languedoc et de la Septimanie. L’avidité
du butin attira les troupes de la Bourgogne, du Berry, de l’Auvergne et des contrées
voisines. Elles marchèrent sans discipline sous les ordres de comtes gaulois ou
germains, attaquèrent mollement et furent repoussées ; mais elles ravagèrent
indifféremment les provinces amies et ennemies ; les moissons, les villages et
même les églises, furent la proie des flammes, les habitants furent ou
massacrés ou traînés en esclavage ; et cinq mille de ces destructeurs féroces
périrent dans leur retraite, victimes de la faim ou de la discorde. Lorsque le
pieux Gontran, après avoir reproché aux chefs leur crime ou leur négligence,
menaça de les faire punir, non d’après un jugement légal, mais sur-le-champ et
sans formalité, ils s’excusèrent sur la corruption générale et incurable du
peuple. Personne , dirent-ils, ne redoute ni ne respecte plus son roi,
son duc ou son comte ; chacun se plaît à faire le mal et satisfait sans
scrupule ses inclinations criminelles. La punition la plus modérée entraîne une
sédition ; et le magistrat qui veut blâmer ou entreprendre d’arrêter leurs
fureurs, soustrait rarement sa vie à leur vengeance [4395] . Il était
réservé à la même nation de faire connaître par ses désordres jusqu’à quels
odieux excès peut se porter l’abus de la liberté, et de suppléer à la perte de
la liberté par des sentiments d’honneur et d’humanité qui allégent et honorent
aujourd’hui sa soumission à un monarque absolu.
Les Visigoths avaient cédé à Clovis la plus grande de leurs
possessions dans la Gaule mais ils compensèrent amplement cette perte par la
conquête aisée et la jouissance tranquille des provinces de l’Espagne. La
monarchie des Goths, qui comprit bientôt les Suèves de la Galice, peut être
encore, pour les Espagnols modernes un objet de vanité nationale ; mais rien ne
force ni n’invite l’historien de l’empire romain à fouiller dans la stérile
obscurité de leurs annales [4396] .
Les Goths de l’Espagne étaient séparés du reste du genre humain par la chaîne
escarpée des Pyrénées. Nous avons déjà fait connaître de leurs mœurs et de
leurs institutions, tout ce qui leur était commun avec différentes tribus de la
Germanie. J’ai anticipé, dans le chapitre précédent, sur les événements
religieux les plus importants de leur empire, la chute de l’arianisme, et la
persécution des Juifs et il ne me reste à observer que quelques circonstances
relatives à la constitution civile et ecclésiastique du royaume d’Espagne.
Lorsque les Francs et les Visigoths eurent renoncé à
l’idolâtrie, et enfin à l’hérésie de l’arianisme, ils se montrèrent également
disposés à subir les inconvénients inhérents à la superstition, et à profiter des
avantages passagers qu’elle peut offrir : mais longtemps avant l’extinction de
la race mérovingienne, les prélats de France n’étaient plus que des chasseurs
et des guerriers barbares. Ils dédaignaient l’usage antique des synodes,
oubliaient les règles de la tempérance et de la chasteté, et préféraient les
jouissances du luxe et de l’ambition personnelle à l’intérêt général de la
profession ecclésiastique [4397] .
Les évêques d’Espagne se respectèrent, et conservèrent la vénération des
peuples. Leur union indissoluble déguisait leurs vices et affermissait leur
autorité et la régularité de la discipline ecclésiastique introduisit la paix,
l’ordre et la stabilité dans le gouvernement de l’État. Depuis le règne de
Recarède, le premier roi, catholique, jusqu’à celui de Witiza, le prédécesseur
immédiat de l’infortuné Rodéric, seize conciles nationaux furent
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