Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
doit obtenir le titre de sagesse et
de modération [4399] .
Tandis que les Francs et les Visigoths assuraient leurs
établissements de la Gaule et de l’Espagne, les Saxons achevèrent la conquête
de la Bretagne, la troisième grande division de la préfecture de l’Occident.
Comme elle était séparée depuis longtemps de l’empire romain, je pourrais
négliger sans scrupule une histoire connue du moins instruit comme du plus
savant de mes compatriotes. Les Saxons, habiles à ramer et à combattre, ignoraient
l’art qui pouvait seul transmettre leurs exploits à la postérité. Les anciens
habitants, retombés dans la barbarie, ne pensèrent point à décrire la
révolution qui les y avait replongés, et leurs douteuses traditions étaient
presque entièrement effacées avant que les missionnaires de Rome y reportassent
la lumière des sciences et du christianisme. Les déclamations de saint Gildas,
les fragments ou fables de Nennius, les lambeaux obscurs et tronqués des lois
saxonnes et des chroniques et les contes ecclésiastiques du vénérable Bède [4400] , ont été
recueillis, mis au jour et quelquefois embellis par l’imagination d’une
succession d’écrivains postérieurs, que je n’entreprendrai ni de censurer ni de
transcrire [4401] .
Cependant l’historien de l’empire peut être tenté de suivre les révolutions
d’une province romaine, jusqu’à ce qu’elles échappent de sa vue, et un Anglais
peut vouloir tracer l’établissement des Barbares dont il tiré son nom, ses
lois, et peut-être son origine.
Environ quarante ans après la dissolution du gouvernement
romain, Vortigern paraît avoir obtenu le commandement suprême, mais précaire,
des princes et des villes de la Bretagne. On a condamné presque unanimement la
politique faible et funeste de ce monarque infortuné [4402] , qui invita des
étrangers formidables à venir le défendre contre les entreprises d’un ennemi
domestique. Les plus graves historiens racontent, qu’il envoya des ambassadeurs
sur la côte de Germanie, qu’ils adressèrent un discours pathétique à
l’assemblée générale des Saxons, et que ces audacieux Barbares résolurent
d’aider d’une flotte et d’une armée les habitants d’une île éloignée et
inconnue. Si la Bretagne eût été réellement inconnue aux Saxons, la mesure de
ses calamités aurait été moins complète ; mais le gouvernement romain manquait de
forces suffisantes pour défendre constamment cette province maritime contre les
pirates de la Germanie. Ses différents États indépendants et divisés étaient
souvent exposés à leurs attaques, et les Saxons pouvaient former quelquefois
avec les Pictes et les Écossais une ligne expresse ou tacite de rapine et de
destruction. Vortigern ne pouvait que balancer les différents périls qui
menaçaient de toutes parts son trône et son pays ; et il est peut-être injuste
de blâmer ce prince d’avoir choisi pour alliés ceux de ces Barbares, qui, par
leurs forces navales, pouvaient être ses plus dangereux ennemis, ou ses amis
les plus utiles. Hengist et Horsa, comme ils longeaient la côte orientale de
l’île avec trois vaisseaux, furent invités, par promesse d’une ample récompense,
à entreprendre la défense de la Bretagne ; et leur intrépidité la délivra
bientôt des usurpateurs de la Calédonie. Ces Germains auxiliaires obtinrent
dans l’île de Thanet une résidence tranquille et un district fertile. On leur
fournit, suivant le traité, une abondante provision de vêtements et de
subsistances. Cette réception favorable attira cinq mille nouveaux guerriers
avec leurs familles ; ils arrivèrent dans dix-sept vaisseaux ; et la puissance
naissante d’Hengist se trouva consolidée par ce renfort. Vortigern se laissa
persuader par le rusé Barbare, qu’il lui serait avantageux d’établir une
colonie d’alliés fidèles dans le voisinage des Pictes ; et une troisième
flotte, composée de quarante vaisseaux, partit des côtes de la Germanie, sous la
conduite du fils et du neveu d’Hengist, ravagea les Orcades, et débarqua sur la
côte de Northumberland ou Lothian, à l’extrémité opposée de la contrée
désormais dévouée à leur rapacité. Il était aisé de prévoir, mais impossible de
prévenir les malheurs qui devaient en résulter. Des inquiétudes mutuelles
divisèrent et aigrirent bientôt les deux nations : les Saxons exagérèrent
leurs services et ce qu’ils avaient souffert pour la défense
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