Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
d’un peuple
ingrat ; les Bretons regrettèrent des récompenses dont la libéralité
n’avait pu satisfaire l’avarice de ces orgueilleux mercenaires. La crainte et
la haine allumèrent entre eux une querelle irréconciliable. Les Saxons
coururent aux armes ; et s’il est vrai qu’ils aient profité de la sécurité
d’une fête pour exécuter un massacre, cette perfidie détruisit sans doute
irrévocablement la confiance réciproque sans laquelle ne peut subsister aucun
rapport entre les nations en paix non plus qu’en guerre [4403] .
Hengist, dont l’audace aspirait à la conquête de la
Bretagne, exhorta ses compatriotes à saisir cette brillante occasion. Il leur
peignit vivement la fertilité du sol, la richesse des villes, la timidité des
habitants, et la situation avantageuse d’une île vaste et solitaire, accessible
de tous côtés aux flottes des Saxons. Les colonies, qui, dans l’espace d’un
siècle, sortirent successivement de l’embouchure de l’Elbe, du Weser et du
Rhin, pour s’établir dans la Bretagne, étaient principalement composées des
trois plus vaillantes tribus de la Germanie ; les Jutes, les Angles et les
anciens Saxons. Les Jutes, qui suivaient particulièrement les drapeaux
d’Hengist, s’attribuèrent l’honneur d’avoir conduit leurs compatriotes à la
gloire, et fondé dans la province de Kent le premier royaume indépendant. Les
Saxons primitifs eurent toute la gloire de l’entreprise ; et l’on donna aux
lois et au langage des conquérants le nom du peuple qui produisit, au bout de
quatre siècles, les premiers souverains de la Bretagne méridionale. Les Angles,
distingués par leur nombre et par leurs succès, eurent l’honneur de donner leur
nom au pays dont ils occupaient la plus vaste partie. Les différents peuples
barbares, qui cherchaient également fortune sur terre ou sur mer, se trouvèrent
insensiblement compris dans cette triple confédération. Les Frisons ,
tentés par le voisinage de la Bretagne, balancèrent pendant un court intervalle
de temps la puissance et la réputation des Saxons. Les Rugiens , les Danois et les Prussiens , sont indiqués d’une manière obscure ; et quelques
aventuriers huns, qui erraient dans les environs de la mer Baltique, purent
aussi s’embarquer sur les vaisseaux des Germains pour conquérir un pays qui
leur était inconnu [4404] ; mais cette difficile entreprise ne fût ni préparée ni exécutée par une
puissance réunie en corps de nation. Chaque chef rassemblait ses compagnons,
dont le nombre dépendait de ses moyens et de sa réputation. Il équipait une
flotte qui pouvait n’être composée que de trois navires, et qui pouvait en
comprendre soixante, choisissait le lieu de l’attaque, et dirigeait ses
opérations subséquentes suivant les événements de la guerre, ou conformément à
ses intérêts particuliers. Dans l’invasion de la Bretagne, un grand nombre de
héros, alternativement vainqueurs et vaincus, furent enfin victimes de leur
ambition. Sept chefs victorieux seulement prirent le titre de rois ; et le
conservèrent. Les conquérants fondèrent l’heptarchie saxonne, composée de sept
trônes indépendants, et de sept familles, dont une s’est perpétuée par les
femmes jusqu’au souverain actuel de l’Angleterre, et qui prétendaient toutes
tirer leur origine sacrée de Woden, le dieu de la guerre. On a voulu que cette
république de rois ait été présidée par un conseil général et un magistrat
suprême ; mais ce système de politique compliquée est trop opposé au génie
grossier et turbulent des Saxons. Leurs lois n’en parlent point, et leurs
annales obscures ne présentent que le spectacle de la discorde et de la
violence [4405] .
Un moine, qui malgré sa profonde ignorance des choses du
monde, a entrepris d’écrire l’histoire, défigure d’une étrange manière l’état
de la Bretagne au moment où elle se sépara de l’empire d’Occident. Saint Gildas [4406] fait en style
fleuri un tableau brillant des progrès de l’agriculture, du commerce étranger
dont chaque marée venait déposer les tributs dans la Tamise et dans la Saverne,
de la construction solide et hardie des édifices publics et particuliers :
il blâme le luxe coupable des Bretons, d’un peuple qui, si on veut l’en croire,
ne pouvait, sans le secours des Romains ni élever des murs de pierre, ni
fabriquer des armes de fer pour défendre ses foyers [4407] . Sous la longue
domination des
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