Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
Gaule sous le règne des Mérovingiens. Les
conquérants ne publièrent jamais l’édit de servitude ou de confiscation générale ; mais des peuples dégénérés, qui déguisaient leur faiblesse sous les noms
d’humeur pacifique et d’urbanité, se trouvaient naturellement obligés de se
soumettre aux armes et aux lois des Barbares féroces qui se jouaient
dédaigneusement de leurs propriétés, de leur vie et de leur liberté. Du reste, ces
injustices étaient personnelles et illégales, et le corps des Romains survécût
à la révolution. Ils conservèrent toujours les propriétés et les privilèges de
citoyens. Les Francs envahirent une partie de leurs terres, mais celles qui
leur restèrent furent exemptes de tributs [4386] ;
et la violence qui détruisit les arts et les manufactures de la Gaule, anéantit
aussi tout le système du despotisme impérial. Les anciens habitants de la Gaule
déplorèrent souvent sans doute la jurisprudence sauvage des lois saliques et
ripuaires ; mais le code de Théodose régla toujours leurs mariages, leurs
testaments, et leurs successions. Un Romain mécontent de sa situation pouvait
aspirer ou descendre au rang des Barbares, et prétendre encore à toutes les
dignités de l’État ; le caractère et l’éducation des Romains les rendaient
propres surtout aux fonctions du gouvernement civil ; mais dès que l’émulation
eut ranimé leur ardeur militaire, on les reçut dans les rangs et même à la tête
des victorieux Germains. Je n’essaierai point de calculer le nombre des
généraux et des magistrats dont les noms [4387] attestent la politique libérale des Mérovingiens ; mais trois Romains
exercèrent successivement le commandement en chef de la Bourgogne avec le titre
de patrice. Mummolus, le dernier et le plus puissant [4388] , tantôt le
sauveur et tantôt le perturbateur de la monarchie, avait supplanté son père
dans le poste de comte d’Autun, et laissa dans son trésor trente talents en or
et deux cent cinquante talents en argent. Les Barbares sauvages et ignorants
furent exclus, durant plusieurs générations, des dignités et même des ordres
ecclésiastiques [4389] .
Le clergé de la Gaule était presque entièrement composé de natifs. L’orgueil
des Francs s’humiliait aux pieds de leurs sujets décorés du caractère épiscopal
; et la dévotion leur restitua peu à peu les richesses et la puissance dont les
avait dépouillés le sort des armes [4390] .
Dans les affaires temporelles, le code de Théodose faisait universellement la
loi du clergé ; mais la jurisprudence barbare avait libéralement pourvu
elle-même à leur sûreté personnelle. Le sous-diacre était évalué comme deux
Francs ; le prêtre, comme un antrustion ; et l’on appréciait la vie d’un
évêque, comme fort au-dessus de toute autre, à la somme de neuf cents pièces
d’or [4391] .
Les Romains communiquèrent aux conquérants la connaissance du christianisme et
de la langue latine [4392] ; mais leur langage avait autant dégénéré de l’élégance du siècle d’Auguste que
leur religion de la pureté du siècle apostolique. Les progrès de la barbarie et
du fanatisme s’étaient étendus avec rapidité. Le culte des saints cacha le Dieu
des chrétiens aux yeux du vulgaire ; l’idiome et la prononciation
teutoniques corrompirent le dialecte grossier des paysans et des soldats.
Cependant la communication sociale et religieuse effaça les préjugés de
naissance et de conquête, et toutes les nations de la Gaule furent
insensiblement confondues sous le nom et le gouvernement des Francs.
En s’unissant aux Gaulois, les Francs auraient pu leur faire
un présent bien précieux, l’esprit et le système d’une constitution libre. Sous
une monarchie héréditaire, mais limitée, les chefs et les ministres, pouvaient
tenir leurs conseils à Paris, dans le palais des Césars. La plaine voisine, où
les empereurs faisaient la revue de leurs légions mercenaires, aurait pu servir
de lieu d’assemblée législative aux citoyens et aux guerriers, et le modèle
grossier qui avait été ébauché dans les forêts de la Germanie [4393] , aurait, été
perfectionné par la sagesse et l’expérience des Romains ; mais les insouciants
Barbares, assurés d’une indépendance personnelle, dédaignèrent les travaux du
gouvernement ; ils oublièrent insensiblement les assemblées annuelles du
mois de Mars, et la conquête de la Gaule désunit en quelque façon la
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