Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
empereurs, la Bretagne était insensiblement devenue une province
policée et servile, dont la défense dépendait d’une puissance éloignée. Les
sujets d’Honorius contemplèrent avec un mélange de surprise et de terreur leur
liberté récente. Il les abandonnait dépourvus de toute constitution civile ou
militaire ; et leurs chefs incertains manquaient également de courage
d’intelligence et d’autorité pour diriger les forces publiques contre l’ennemi
commun. L’arrivée des Saxons décela leur faiblesse, et dégrada le caractère du
prince et des sujets. La consternation exagéra le danger, la désunion diminua
les ressources, et la fureur des factions civiles se montra plus ardente à
déclamer sur les malheurs dont chaque parti accusait la mauvaise conduite de
ses adversaires qu’à y porter les remèdes nécessaires. Cependant les Bretons
n’ignoraient pas, ne pouvaient même ignorer l’usage des armes et l’art de les
fabriquer. Les attaques successives, et mal dirigées, des Saxons leur donnèrent
le temps de revenir de leur frayeur ; et les événements, soit heureux, soit
malheureux de la guerre, ajoutèrent à leur valeur naturelle les avantages de
l’expérience et de la discipline.
Tandis que les continents d’Europe et d’Afrique cédaient,
sans résistance aux Barbares, la Bretagne, seule et sans secours, soutint
longtemps avec vigueur une guerre dans laquelle il fallût à la fin céder à des
pirates formidables, qui attaquaient presque au même instant les côtes
maritimes de l’orient, du nord et du midi. Les villes avaient été fortifiées
avec intelligence et se défendirent avec résolution ; les habitants profitèrent
de tous les avantages du terrain, des montagnes, des bis et des marais ; la
conquête de chaque district fut achetée par beaucoup de sang, et les défaites
des Saxons se trouvent attestées d’une manière peu douteuse par le silence
prudent de leurs annalistes. Hengist put espérer d’achever la conquête de la
Bretagne ; mais durant un règne actif de trente-cinq ans, tout le succès de ses
ambitieuses entreprises se borna à la possession du royaume de Kent ; et la
nombreuse colonie qu’il avait placée dans le nord fut exterminée par la valeur
des Bretons. Les efforts et la persévérance de trois générations martiales
fondèrent la monarchie des Saxons occidentaux. Cerdic, un des plus braves
descendants de Woden, passa toute sa vie à la conquête du Hampshire et de l’île
de Wight ; et les pertes qu’il éprouvait à la bataille de Mount-Badon le réduisirent
à un repos sans gloire. Le vaillant Kenric, son fils, s’avança dans le
Wiltshire, assiégea Salisbury, située alors sur une éminence, et défit une
armée qui venait au secours de la ville. Quelque temps après, à la bataille de
Marlborough [4408] ,
les Bretons déployèrent leurs talents militaires. Leur armée formait trois
lignes, chacune composée de trois corps différents ; et la cavalerie, les
piquiers et les archers, furent rangés selon les principes de la tactique des
Romains. Les Saxons, rassemblés en une seule colonne serrée, fondirent
vaillamment avec leurs courtes épées, sur les longues lances des Bretons, et
soutinrent jusqu’à la nuit l’égalité du combat. Deux batailles décisives, la
mort de trois rois bretons et la réduction de Cirencester, Glocester et Bath
assurèrent la gloire et la puissance de Ceaulih, petit-fils de Cerdic, qui
porta ses armes victorieuses jusque sur les bords de la Saverne.
Après une guerre de cent ans, les Bretons indépendants
possédaient encore toute l’étendue de la côte occidentale, depuis le mur
d’Antonin jusqu’à l’extrémité du promontoire de Cornouailles ; et les
principales villes du pays intérieur résistaient encore aux Barbares ; mais la
résistance devint plus languissante en proportion du nombre des assaillants,
qui augmentaient sans cesse. Gagnant insensiblement du terrain par de lents et
pénibles efforts, les Saxons, les Angles et leurs divers confédérés
s’avancèrent du nord, de l’orient, et du midi, jusqu’au moment où ils réunirent
leurs armées victorieuses dans le centre de l’île. Au-delà de la Saverne, les
Bretons maintenaient toujours leur liberté nationale, qui survécut à
l’heptarchie et même à la monarchie des Saxons. Leurs plus braves guerriers,
préférant l’exil à l’esclavage, trouvèrent un asile dans les montagnes de
Galles : le pays de Cornouailles ne se
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