Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
torrent
s’augmenta de la foule des captifs et des alliés. Les tribus fugitives, qui
cédaient aux Huns, furent saisies à leur tour de l’esprit de conquête. Le poids
accumulé d’une multitude de Barbares qui se précipitaient les uns sur les
autres, fondit avec impétuosité sur l’empire romain ; à peine avaient-ils
détruit les premiers, que d’autres occupaient leur place et présentaient de
nouveaux assaillants. On ne peut plus voir sortir du Nord ces émigrations
formidables ; et le long repos qui a été attribué au décroissement de la
population, est la suite heureuse des progrès des arts et de l’agriculture. Au
lieu de quelques villages placés de loin en loin parmi les bois et les marais,
l’Allemagne compte aujourd’hui deux mille trois cents villes environnés de
murs. Les royaumes chrétiens du Danemark, de la Suède et de la Pologne se sont
élevés successivement ; les négociants hanséatiques et les chevaliers teutons
ont étendu leurs colonies le long des côtes de la mer Baltique jusqu’au golfe
de Finlande. Depuis le golfe de Finlande jusqu’à l’océan Oriental, la Russie
prend aujourd’hui la forme d’un empire puissant et civilisé. On voit sur les
bords du Volga, de l’Obi et du Lena le laboureur conduire sa charrue, le
tisserand travailler à son métier, et le forgeron battre le fer sur son
enclume ; les plus féroces des Tartares ont appris à craindre et à obéir.
Les Barbares indépendants n’occupent plus qu’un bien petit espace ; et les
restes des Kalmouks et des Uzbeks, réduits à un si petit nombre, que l’on peut,
pour ainsi dire, les compter, n’ont pas le pouvoir d’inquiéter sérieusement la
grande république d’Europe [4444] .
Cependant, cette sécurité apparente ne doit pas nous faire oublier qui du sein
de quelque peuple obscur, ç peine visible sur la carte du monde, peuvent naître
de nouveaux ennemis et des dangers imprévus. Les Arabes ou Sarrasins, qui
étendirent leurs conquêtes depuis l’Inde jusqu’en Espagne, languissaient dans
l’indigence et dans l’obscurité, lorsque Mahomet anima leurs corps sauvages du
souffle de l’enthousiasme.
II . L’empire de Rome était solidement établi sur la
singulière et parfaite union de toutes ses parties. Les peuples devenus ses
sujets avaient renoncé à l’espoir et même au désir de l’indépendance, et se
trouvaient honorés du titre de citoyens romains. Forcées de céder aux Barbares,
les provinces de l’Occident se virent, avec douleur séparées de leur
mère-patrie [4445] ; mais elles avaient acheté cette union par la perte de la liberté nationale et
de l’esprit militaire ; et, dénuées de vie et de mouvement, ces provinces
asservies attendaient leur salut de troupes mercenaires et de gouverneurs
dirigés par les ordres d’une cour éloignée. Le bonheur de cent millions
d’individus dépendait du mérite personnel d’un ou deux hommes, peut-être de
deux enfants dont l’éducation, le luxe et le despotisme, avaient corrompu le
caractère et les inclinations. Ce fut sous les minorités des fils et des
petits-fils de Théodose que l’empire reçut les plus profondes blessures ;
et lorsque ces princes méprisables parurent avoir atteint l’âge de la virilité,
ils abandonnèrent l’Église aux évêques, l’État aux eunuques, et les provinces
aux Barbares. Aujourd’hui l’Europe est divisée en douze royaumes puissants,
quoique inégaux, trois républiques respectables, et un grand nombre d’autres
souveraineté plus petites, mais indépendantes. Les chances de talents dans les
princes et les ministres sont au moins multipliées en raison du nombre des
souverains : un Julien, une Sémiramis, peuvent régner dans le Nord tandis
qu’Arcadius et Honorius dorment encore sur les trônes du Midi. L’influence
réciproque de la crainte et de la honte arrêtèrent l’abus de la tyrannie. Les républiques
ont acquis de l’ordre et de la stabilité ; les monarchies ont adopté des
maximes de liberté ou au moins de modération et les mœurs générales du siècle
ont introduit quelques sentiments d’honneur et le justice dans les
constitutions les plus défectueuses. En temps de paix, l’émulation active de
tant de rivaux accélère les progrès des sciences et de l’industrie ; en temps
de guerre, des contestations passagères et peu décisives exercent les forces
militaires de l’Europe. Si un conquérant sauvage sortait des déserts de la
Tartane, il
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