Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
idées
religieuses, paraissait plus susceptible de tendresse : elle lui persuada qu’il
devait adopter Alexandre, et le revêtir du titre de César [en 221] , pour
n’être plus détourné de ses occupations célestes par les soins de la terré.
Placé au second rang, ce jeune prince s’attira bientôt l’affection du peuple,
et il excita la jalousie du tyran, qui résolut de mettre fin à une comparaison
odieuse, en corrompant les mœurs de son rival, ou en lui arrachant la vie. Les
moyens dont il se servit furent inutiles. Ses vains projets, toujours
découverts par sa folle indiscrétion, furent prévenus par les fidèles et
vertueux serviteurs que la prudente Mammée avait placés auprès de son fils. Dans
un moment de colère, Élagabale résolut d’exécuter par la force ce qu’il n’avait
pu obtenir par des voies détournées. Une sentence despotique, émanée de la cour
dégrada, tout à coup Alexandre du rang et des honneurs de César. Le sénat ne
répondit aux ordres du souverain que par un profond silence. Dans le camp, on
vit s’élever aussitôt un furieux orage. Les gardes prétoriennes jurèrent de
protéger Alexandre, et de venger la majesté du trône indignement violée. Les
pleurs et les promesses d’Élagabale, qui les conjurait en tremblant d’épargner
sa vie, et de le laisser en possession de son cher Hiéroclès, suspendirent leur
juste indignation ; ils chargèrent seulement leur préfet de veiller aux
actions de l’empereur et à la sûreté du fils de Mammée [504] .
Une pareille réconciliation ne pouvait durer
longtemps : il eût été impossible même au vil Élagabale de régner à des
conditions si humiliantes. Il entreprit bientôt de sonder, par une épreuve
dangereuse, les dispositions des troupes. Le bruit de le mort d’Alexandre
excite dans le camp une rébellion : on se persuade que ce jeune prince
vient d’être massacré : sa présence seule et son autorité rétablissent le
calme. L’empereur, irrité de cette nouvelle marque de mépris pour sa personne
et d’affection pour son cousin, osa livrer au supplice quelques-uns des chefs
de la sédition. Cette rigueur déplacée lui coûta la vie, et entraîna la perte
de sa mère et de ses favoris. Élagabale fut massacré par les prétoriens
indignés. Son corps, après avoir été traîné dans toutes les rues de Rome, et
déchiré par une populace en fureur, fût jeté dans le Tibre. Le sénat dévoua sa
mémoire à une infamie éternelle. La postérité a ratifié ce juste décret [505] .
Les prétoriens mirent ensuite Alexandre sur le trône. Ce
prince tenait au même degré que son prédécesseur à la famille de Sévère, dont
il prit le nom [506] .
Ses vertus et les dangers qu’il avait courus, l’avaient déjà rendu cher aux
Romains. Le sénat, dans les premiers mouvements de son zèle, lui conféra, en un
seul jour, tous les titres et tous les pouvoirs de la dignité impériale [507] . Mais comme
Alexandre, âgé seulement de dix-sept ans, joignait à une grande modestie une
piété vraiment filiale, les rênes du gouvernement se trouvèrent entre les mains
de deux femmes, Mammée, sa mère, et Mœsa, son aïeule. Celle-ci mourut bientôt
après l’avènement d’Alexandre, et Mammée resta seule chargée de l’éducation de
son fils et de l’administration de l’emprise.
Dans tous les siècles et dans toutes les contrées, le plus
sage, ou du moins le plus fort des deux sexes, s’est emparé de la puissance
suprême, tandis que les soins et les plaisirs de la vie privée ont toujours été
le partage de l’autre. Dans les monarchies héréditaires cependant, et surtout
dans celles de l’Europe moderne, les lois de la succession et l’esprit de
chevalerie nous ont accoutumés à une exception singulière. Nous voyons souvent
une femme reconnue souveraine d’un grand royaume où elle n’aurait point été
jugée capable de posséder le plus petit emploi civil ou militaire. Mais comme
les empereurs romains représentaient toujours les généraux ou les magistrats de
la république, leurs femmes et leurs mères, quoique distinguées par le nom d’ Augusta ,
ne furent jamais associées à leurs dignités personnelles. Ces premiers Romains,
qui se mariaient sans amour, ou qui n’en connaissaient ni les tendres égards,
ni la délicatesse, auraient vu dans le règne d’une femme un de ces prodiges
dont aucune expiation ne pourrait détourner le sinistre présage [508] . La superbe
Agrippine
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