Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
voulut, il est vrai, partager les honneurs de l’empire, qu’elle avait
fait passer sur la tête de son fils ; mais elle s’attira la haine de tous
ceux des citoyens qui respectaient encore la dignité de Rome, et sa folle
ambition échoua contre les intrigues et la fermeté de Sénèque et de Burrhus [509] . Le bon sens ou
l’indifférence des successeurs de Néron les empêcha de blesser les préjugés de
leurs sujets. Il était réservé à l’infâme Élagabale d’avilir la majesté du
premier corps de la nation. Sous le règne de cet indigne prince, Soœmias, sa
mère, prenait séance, auprès des consuls, et souscrivait comme les autres
sénateurs les décrets de l’assemblée législative. Mammée refusa prudemment une
prérogative odieuse et en même temps inutile. On rendit une loi solennelle,
pour exclure à jamais les femmes du sénat, et pour dévouer aux divinités
infernales celui qui violerait par la suite la sainteté de ce décret [510] . Mammée ne
s’attachait point à une vaine image ; la réalité du pouvoir était l’objet
de sa mâle ambition. Elle conserva toujours sur l’esprit d’Alexandre un empire
absolu, et la mère ne put jamais souffrir de rivale dans le cœur de son fils.
Ce prince avait épousé, de son consentement, la fille d’un patricien. Le
respect qu’il devait à son beau-père et son attachement pour la jeune
impératrice, se trouvèrent incompatibles avec la tendresse ou les intérêts de
Mammée. Bientôt le patricien périt victime de l’accusation banale de
trahison ; et la femme d’Alexandre, après avoir été chassée
ignominieusement du palais, fut reléguée en Afrique [511] .
Malgré cet acte cruel de jalousie, malgré l’avarice que l’on
a reprochée quelquefois à Mammée, en général son administration fut également
utile à son fils et à l’empire. Le sénat lui permit de choisir seize des plus
sages et des plus vertueux de ses membres pour composer un conseil perpétuel.
Toutes les affaires publiques de quelque importance étaient discutées et
décidées devant ce nouveau tribunal, qui avait pour chef le fameux Ulpien,
aussi célèbre par son respect pour les lois de Rome, que par ses profondes
connaissances en jurisprudence. La fermeté et la sagesse de cette aristocratie
contribuèrent à rétablir l’ordre et l’autorité du gouvernement. Les vils
monuments élevés sous le dernier règne au luxe étranger et à la superstition
asiatique subsistaient encore au milieu de Rome : on commença par détruire
tout ce qui pouvait rappeler le caprice et la tyrannie d’Élagabale. Les
nouveaux conseillers éloignèrent ensuite de l’administration publique les
indignes créatures de ce prince, et leur donnèrent pour successeurs, dans
chaque département, des citoyens vertueux et habiles. L’amour de la justice et
la connaissance des lois servirent seuls de recommandation pour les emplois
civils, et les commandements militaires devinrent le prix da la valeur et de
l’attachement à la discipline [512] .
Mais le soin le plus important de Mammée et de ses sages
conseillers fut de former le caractère du jeune empereur, dont les qualités
personnelles devaient faire le malheur ou la félicité du genre humain. Un sol
fertile produit de bons fruits presque sans culture. Alexandre était né avec
les plus heureuses dispositions : doué d’un excellent jugement, il connut
bientôt les avantages de la vertu, le plaisir de l’instruction et la nécessité
du travail. Une douceur et une modération naturelles le mirent à l’abri des
assauts dangereux des passions et des attraits séducteurs du vice. Son respect
inviolable pour sa mère, et l’estime qu’il eut toujours pour le sage Ulpien,
garantirent sa jeunesse du poison de la flatterie.
L’exposition seule de ses occupations journalières nous le
représente comme un prince accompli [513] ;
et, en ayant égard à la différence des mœurs, ce beau tableau mériterait de
servir de modèle à tous les souverains. Alexandre se levait de grand matin ; il
consacrait les premiers moments du jour à des devoirs de piété, et sa chapelle
particulière était remplie des images de ces héros qui ont mérité la
reconnaissance et la vénération de la postérité, par le soin qu’ils ont pris de
former ou de perfectionner la nature humaine [514] .
Mais l’empereur, persuadé que les services rendus à ses semblables sont le
culte le plus pur aux yeux de l’Être suprême, passait
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