Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
avec tant de prudence, Macrin flottait entre
la crainte et une fausse sécurité. Il pouvait, par un mouvement décisif,
étouffer la conspiration dans son enfance : l’irrésolution le retint
à Antioche. Un esprit de révolte s’était emparé de toutes les troupes campées
en Syrie ou en garnison dans cette province. Plusieurs détachements, après
avoir massacré leurs officiers [490] ,
avaient grossi le nombre des rebelles. La restitution tardive de la paye et des
privilèges militaires, par laquelle Macrin espérait concilier tous les esprits,
ne fut imputée qu’à la faiblesse de son caractère, et de son gouvernement.
Enfin, l’empereur prit le parti de sortir d’Antioche pour aller au devant de
son rival, dont l’armée pleine de zèle devenait tous les jours plus
considérable. Les troupes de Macrin, au contraire, semblaient n’entrer en
campagne qu’avec mollesse et répugnance. Mais, dans la chaleur du combat [491] , les prétoriens,
entraînés presque par une impulsion naturelle, soutinrent leur réputation de
valeur et de discipline. Déjà les rangs des révoltés étaient rompus, lorsque la
mère et l’aïeule du prince de Syrie, qui, selon l’usage des Orientaux,
accompagnaient l’armée dans des chars couverts, en descendirent avec
précipitation, et cherchèrent, en excitant la compassion du soldat, à ranimer
son courage. Antonin lui-même, qui dans tout le reste de sa vie ne se conduisit
jamais comme un homme, se montra un héros dans ce moment de crise. Il monte à
cheval, rallie les fuyards, et se jette, l’épée à la main, dans le plus épais
de l’ennemi ; tandis que l’eunuque Gannys, dont jusqu’alors les soins du
sérail et le luxe efféminé de l’Asie avaient fait l’unique occupation, déploie
les talents d’un général habile et expérimenté [492] . La victoire
était encore incertaine, et Macrin aurait peut-être été vainqueur, s’il n’eût
pas trahi sa propre cause, en prenant honteusement la fuite. Sa lâcheté ne servit
qu’à prolonger sa vie de quelques jours et à imprimer à sa mémoire une tache
qui fit oublier ses malheurs. Il est presque inutile de dire que son fils
Diadumenianus fût enveloppé dans le même sort. Dés que les inébranlables
prétoriens eurent appris qu’ils répandaient leur sang pour un prince qui avait
eu la bassesse de les abandonner, ils se rendirent à son compétiteur ; et
les soldats romains versant des larmes de joie et de tendresse, se réunirent
sous les étendards du prétendu fils de Caracalla. Antonin était le premier
empereur qui fût né en Asie : l’Orient reconnut avec joie un maître sorti
du sang asiatique.
Macrin avait daigné écrire au sénat pour lui faire part de
quelques légers troubles excités en Syrie par un imposteur et aussitôt le rebelle
et sa famille avaient été déclarés ennemis de l’État par un décret solennel. On
promettait cependant le pardon à ceux de ses partisans abusés qui le
mériteraient en rentrant immédiatement dans le devoir. Vingt jours s’étaient
écoulés depuis la révolte d’Antonin jusqu’à la victoire qui le couronna :
durant ce court intervalle qui décida du sort de l’univers, Rome et les
provinces, surtout celles de l’Orient, furent déchirées par les craintes et par
les espérances des factions agitées par des dissensions intestines, et
souillées par une effusion inutile du sang des citoyens, puisque l’empire
devait appartenir à celui des deux concurrents qui reviendrait vainqueur de la
Syrie. Les lettres spécieuses dans lesquelles le jeune conquérant annonçait à
un sénat toujours soumis la chute de son rival, étaient remplies de
protestations de vertu, et respiraient la modération. Il se proposait de
prendre pour règle invariable de sa conduite les exemples brillants d’Auguste
et de Marc-Aurèle. Il affectait surtout d’appuyer avec orgueil sur la
ressemblance frappante de sa fortune avec celle d’Octave, qui, dans le même
âge, avait, par ses succès, vengé la mort de son père. En se qualifiant des
noms de Marc-Aurèle , de fils d’Antonin et de petit-fils de
Sévère , il établissait tacitement ses droits à l’empire ; mais il blessa la
délicatesse des Romains, en prenant les titres de tribun et de proconsul, sans
attendre que le sénat le lui fit solennellement conférés. Il faut attribuer
cette innovation dangereuse et ce mépris pour les lois fondamentales de l’État,
à l’ignorance de ses courtisans de
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