Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
au bonheur de
l’État, et leur faisaient supporter impatiemment le frein de la discipline.
Lorsque l’empereur voulut exécuter son projet, il eut soin de paraître rempli
d’affection pour l’armée et de lui dérober les craintes, qu’elle lui inspirait.
La plus rigide économie dans toutes les autres branches de l’administration lui
fournissait les sommes immenses qu’exigeaient la paye ordinaire et les
gratifications excessives accordées aux troupes. Il les dispensa, dans les
marches, de porter sur leurs épaules des provisions pour dix-sept jours ;
elles trouvaient de vastes magasins établis sur toutes les routes, et dès
qu’elles entraient en pays ennemi, une nombreuse suite de chameaux et de mulets
soulageait leur indolence hautaine. Comme Alexandre ne pouvait espérer de
corriger le luxe des soldats, il essaya du moins de le diriger vers des objets
d’une pompe guerrière, et de substituer à des ornements inutiles de beaux
chevaux, des armes magnifiques et des boucliers enrichis d’or et d’argent. Il
partageait les fatigues qu’il était obligé de prescrire, visitait en personne
les blessés et les malades, et tenait un registre exact des services de ses
soldats et des récompenses qu’ils avaient reçues : enfin, il montrait en toute
occasion les égards les plus affectueux pour un corps dont la conservation,
comme il affectait de le déclarer, était si étroitement liée à celle de l’État [518] . Ce fut ainsi
qu’il employa les voies les plus douces pour inspirer à la multitude indocile
des idées de devoir, et pour faire revivre au moins une faible image de cette
discipline à laquelle la république avait été redevable de ses succès sur tant
de nations aussi belliqueuses et plus puissantes que les Romains. Mais ce sage
empereur vit échouer tous ses projets : son courage lui devint fatal, et
tous ses efforts ne servirent qu’à irriter les maux qu’il se proposait de
guérir.
Les prétoriens étaient sincèrement attachés au jeune
Alexandre ; ils l’aimaient comme un tendre pupille qu’ils avaient arraché
à la fureur d’un tyran, et placé sur le trône impérial. Cet aimable prince
n’avait point oublié leurs services ; mais, comme la justice et la raison
mettaient des bornes a sa reconnaissance, les prétoriens furent bientôt plus
mécontents des vertus d’Alexandre qu’ils ne l’avaient été des vices
d’Élagabale. Le sage Ulpien, leur préfet, respectait les lois et avait gagné
l’amour des citoyens ; il s’attira la haine des soldats, qui attribuèrent
tous les plans de réforme à ses conseils pernicieux. Un léger accident changea
leur mécontentement en fureur : ils tournèrent leurs armes contre le
peuple qui, reconnaissant, voulait défendre la vie de cet excellent
ministre ; et Rome fût exposée pendant trois jours à toutes les horreurs
d’une guerre civile. Enfin, la vue de quelques maisons embrasées et les cris du
soldat, qui menaçait de réduire la ville en cendres, effrayèrent les habitants,
et les forcèrent d’abandonner en soupirant le vertueux Ulpien à son malheureux
sort. Le préfet, poursuivi par ses propres, troupes, se réfugia dans le palais
impérial, et fut massacré aux pieds de son maître, qui s’efforçait en vain de
le couvrir de la pourpre, et d’obtenir son pardon de ces cœurs féroces [519] . La faiblesse du
gouvernement était si déplorable, que l’empereur ne put venger la mort de son
ami, et, l’insulte faite à sa dignité, sans avoir recours à la patience et à la
dissimulation. Épagathe, le principal chef de la sédition, ne s’éloigna de Rome
que pour aller exercer en Égypte l’emploi honorable de préfet. On le fit
insensiblement descendre de ce haut rang au gouvernement de Crète ; et
lorsque enfin le temps et l’absence l’eurent effacé du souvenir des gardes,
Alexandre se hasarda à lui faire subir la peine que méritaient ses crimes [520] .
Sous le règne d’un prince juste et vertueux, les plus
fidèles ministres se trouvaient exposés à une cruelle tyrannie ; ils
couraient risque de perdre la vie, dès qu’on les soupçonnait de vouloir
corriger les désordres intolérables de l’armée. L’historien Dion Cassius, qui
commandait les légions de Pannonie, avait suivi les maximes de l’ancienne
discipline. Les prétoriens, intéressés à soutenir la licence militaire,
embrassèrent la cause de leurs frères campés sur les bords du Danube, et
demandèrent la tête du
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