Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
lorsque embellie
par le charme de la société et par les liaisons aimables, elle vient encore se
peindre à ses yeux sous les traits adoucis du goût et de l’imagination. Mais
Élagabale (je parle de l’empereur de ce nom), corrompu par les prospérités, par
les passions de la jeunesse et par l’éducation de son pays, se livra, sans
aucune retenue, aux excès les plus honteux. Bientôt le dégoût et la satiété
empoisonnèrent ses plaisirs. L’art et les illusions les plus fortes qu’il
puisse enfanter, furent appelés au secours de ce prince. Les vins les plus
exquis, les mets les plus recherchés, réveillaient ses sens assoupis ;
tandis que les femmes s’efforçaient, par leur lubricité, de ranimer ses désirs
languissants. Des raffinements sans cesse variés étaient l’objet d’une étude
particulière. De nouvelles expressions et de nouvelles découvertes dans cette
espèce de science, la seule qui fût cultivée et encouragée par le monarque [499] , signalèrent son
règne, et le couvrirent d’opprobre aux yeux de la postérité. Le caprice et la
prodigalité tenaient lieu de goût et d’élégance ; et lorsque Élagabale
répandait avec profusion les trésors de l’État pour satisfaire à ses folles
dépenses, ses propres discours, répétés par ses flatteurs élevaient jusqu’aux
cieux la grandeur d’âme et la magnificence d’un prince qui surpassait avec tant
d’éclat ses timides prédécesseurs. Il se plaisait principalement à confondre
l’ordre des saisons et des climats [500] ,
à se jouer des sentiments et des préjugés de son peuple, et à fouler aux pieds
toutes les lois de la nature et de la décence. Il épousa une vestale, qu’il
avait arrachée par force du sanctuaire [501] .
Le nombre de ses femmes, qui se succédaient rapidement, et la foule de
concubines dont il était entouré, ne pouvaient satisfaire l’impuissance de ses
passions. Le maître du monde et des Romains affectait par choix le costume et
les habitudes des femmes. Préférant la quenouille au sceptre, il déshonorait
les principales dignités de l’État en les distribuant à ses nombreux
amans : l’un d’eux fût même revêtu publiquement du titre et de l’autorité
de mari de l’empereur, ou plutôt de l’impératrice, pour nous servir des
expressions de l’infâme Élagabale [502] .
Les vices et les folies de ce prince ont été probablement
exagérés par l’imagination, et noircis par la calomnie [503] . Cependant
bornons-nous aux scènes publiques dont tout un peuple a été témoin ; et qui
sont attestées par des contemporains dignes de foi. Aucun autre siècle n’en a
présenté de si révoltantes, et Rome est le seul théâtre où elles aient jamais
paru. Les débauches d’un sultan sont ensevelies dans l’ombre de son sérail :
des murs inaccessibles les dérobent à l’œil de la curiosité. Dans les cours
européennes, l’honneur et la galanterie ont introduit de la délicatesse dans le
plaisir, des égards pour la décence, et du respect pour l’opinion publique.
Mais dans une ville où tant de nations apportaient sans cesse des mœurs si
différentes, les citoyens riches et corrompus adoptaient tous les vices que ce
mélange monstrueux devait nécessairement produire ; sûrs de l’impunité,
insensibles aux reproches, ils vivaient sans contrainte dans la société humble
et soumise de leurs esclaves et de leurs parasites. De son côté, l’empereur
regardait tous ses sujets avec le même mépris, et maintenait sans contradiction
le souverain privilège que lui donnait son rang de- e livrer au luxe et à la
débauche.
Ceux qui déshonorent le plus par leur conduite la nature
humaine, ne craignent pas de condamner dans les autres les mêmes désordres
qu’ils se permettent. Pour justifier cette partialité, ils sont toujours prêts
à découvrir quelque légère différence dans l’âge, dans la situation et dans le
caractère. Les soldats licencieux qui avaient élevé sur le trône le fils
dissolu de Caracalla rougissaient de ce choix ignominieux, et détournaient en
frémissant leurs regards à la vue de ce monstre, pour contempler le spectacle
agréable des vertus naissantes de son cousin Alexandre, fils de Mammée.
L’habile Mœsa, prévoyant que les vices d’Élagabale le précipiteraient
infailliblement du trône, entreprit de donner à sa famille un appui plus assuré.
Elle profita d’un moment favorable, où l’âme de l’empereur, livrée à des
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