Histoire de la décadence et de la chute de l’Empire romain
la plus grand partie de
la mâtinée dans son conseil, où il discutait les affaires publiques, et
terminait les causes particulières avec une prudence au-dessus de son âge. Les
charmes de la littérature faisaient bientôt disparaître la sécheresse de ces
détails. Alexandre donna toujours quelques heures à l’étude de la poésie, de
l’histoire et de la philosophie. Les ouvrages de Virgile et d’Horace, la
République de Platon et celle de Cicéron, formaient son goût, éclairaient son
esprit, et lui donnaient les idées les plus sublimes de l’homme et du
gouvernement. Les exercices du corps succédaient à ceux de l’âme ; et le
prince, qui joignait à une taille avantageuse de la force et de l’activité,
avait peu d’égaux dans la gymnastique. Après le bain et un léger dîner, il se
livrait avec une nouvelle ardeur aux affaires du jour ; et, jusqu’au
souper, le principal repas des Romains, il travaillait avec ses secrétaires, et
répondait à cette foule de lettres, de mémoires et de placets, qui devaient
être nécessairement adressés au maître de la plus grande partie du monde. La
frugalité et la simplicité régnaient à sa table et lorsqu’il pouvait suivre
librement sa propre inclination, il n’invitait qu’un petit nombre d’amis
choisis, tous d’un mérite et d’une probité reconnue, et parmi lesquels Ulpien
tenait le premier rang. La douce familiarité d’une conversation toujours
instructive, était quelquefois interrompue par des lectures intéressantes, qui
tenaient lieu de ces danses, de ces spectacles, et même de ces combats de
gladiateurs, que l’on voyait si souvent dans les maisons des riches citoyens [515] . Alexandre était
simple et modeste dans ses habillements, affable et pur dans ses manières. Tous
ses sujets pouvaient entrer dans son palais, à de certaines heures de la
journée ; mais on entendait en même temps la voix d’un héraut qui
prononçait, comme dans les mystères d’Éleusis, cet avis salutaire : Que
personne ne pénètre dans l’enceinte de ces murs sacrés, à moins qu’il n’ait une
conscience pure et une âme sans tache [516] .
Un genre de vie si uniforme, dont aucun instant ne pouvait
être occupé par le vice ni par la folie, prouve bien mieux la sagesse et
l’équité du gouvernement d’Alexandre, que tous les détails minutieux rapportés
dans la compilation de Lampride Depuis l’avènement de Commode, l’univers avait
été en proie pendant quarante ans aux vices divers de quatre tyrans. Après la
mort d’Élagabale, il goûta les douceurs d’un calme de treize années. Les
provinces, délivrées des impôts excessifs inventés par Caracalla et par son
prétendu fils, jouirent de tous les avantages de la paix et de la prospérité.
L’expérience avait appris aux magistrats que le plus sûr et l’unique moyen
d’obtenir la faveur du monarque, était de mériter l’amour de ses sujets. Les
soins paternels d’Alexandre, en mettant quelques bornes peu sévères au luxe
insolent du peuple romain, diminuèrent le prix des denrées et l’intérêt de
l’argent, et sa prudente libéralité sut, sans écraser les classes
industrieuses, fournir aux besoins et aux amusements de la populace. La
dignité, la liberté, l’autorité du sénat furent rétablies, et tous les vertueux
sénateurs purent, sans crainte et sans honte, approcher de leur souverain.
Le nom d’Antonin, ennobli par les vertus de Marc-Aurèle et
de son prédécesseur, avait passé, par adoption, au débauché Verus, et par droit
de naissance, au cruel Commode. Apres avoir été la distinction la plus
honorable des fils de Sévère, il fut accordé à Diadumenianus ; et enfin souillé
par l’infamie du grand-prêtre d’Émèse. Alexandre, malgré les instances
étudiées ou peut-être sincères du sénat, refusa noblement d’emprunter l’éclat
de ce nom illustre, tandis que, par sa conduite, il s’efforçait de rétablir la
gloire et le bonheur du siècle des véritables Antonins [517] .
Dans l’administration civile, la sagesse de ce prince était
soutenue par l’autorité. Le peuple sentait sa félicité, et payait de son amour
et de sa reconnaissance les bienfaits de son souverain. Il restait encore une
entreprise plus grande, plus nécessaire, mais plus difficile à exécuter, la
réforme de l’ordre militaire. A la faveur d’une longue impunité, les intérêts
et les dispositions des soldats les avaient rendus insensibles
Weitere Kostenlose Bücher