Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
répandent, l ’ évaporation, l ’ usure ou l ’ accroissement lents témoignent (par le procédé de la non-infirmation) de l ’ existence de ces corps. La continuité de la matière, en apparence constatée par les sens, est une illusion : tel un troupeau de moutons qui, vu de loin, paraît être une tache blanche immobile [485] .
Pour bien comprendre la nature de l ’ atome épicurien et surtout pour éviter toute confusion avec l ’ atomisme moderne il est une remarque qu ’ il importe de ne pas perdre de vue : c ’ est que la nature de l ’ atome est déterminée par sa fonction, qui est de former les divers composés ; c ’ est un principe sous-jacent à la physique épicurienne, que l’on ne peut faire n ’ importe quoi avec n ’ importe quels atomes ; un être d ’ une espèce donnée exige des atomes d ’ une espèce également donnée ; les atomes ne sont pas des unités toutes identiques entre elles de telle sorte que la diversité des composés entre eux ne viendrait que du mode de liaison et de connexion de ces unités identiques ; en réalité pour former une âme, un dieu, un corps humain, etc., il faut chaque fois des atomes d ’ espèce différente. Une des preuves que Lucrèce donne de l ’ existence des atomes est fort remarquable à cet égard ( I, 160-175 ) : la fixité des espèces à travers le temps, dit-il, est une loi absolue de la nature ; il s ’ ensuit que les éléments qui servent à composer les individus de chaque espèce, doivent, eux aussi, être fixes. Loin que l ’ esprit de l ’ atomisme aille, comme il serait naturel de le penser, contre p.345 l ’ idée d ’ une classification stable (aristotélicienne) des choses, il en tire au contraire argument ; et la classification des atomes en espèces reproduit en miniature celle des choses sensibles. Aussi les atomes sont non seulement les composants, mais les semences des choses (σπέρματα, semina rerum ), et c ’ est en effet par la forme des atomes composants plutôt que par leur mode de composition que nous verrons s ’ expliquer les propriétés des composés.
Et c ’ est pourquoi sans doute l ’ atome est défini non pas comme un minimum (car tous les minima sont égaux et sans forme), mais comme une grandeur insécable quoique non précisément indivisible. Épicure, on l ’ a vu, ne tire pas argument, pour conclure aux atomes, de l ’ impossibilité de la division à l ’ infini. Cette impossibilité Épicure l ’ admet aussi, mais elle le fait conclure non pas à des atomes, mais à des minima tous égaux entre eux. Ces minima réels sont conçus par analogie avec les minima visibles, c ’ est-à-dire avec la dimension la plus petite que puisse voir l ’œil ; comme le champ visuel est composé de ces minima visibles, qui servent d ’ unités de mesure, ainsi la grandeur réelle est faite de minima réels, et elle est plus ou moins grande, selon qu ’ elle en contient plus ou moins. Cette théorie des minima servait, semble-t-il, à Épicure, à résoudre l ’ aporie de Zénon d ’ Elée sur le mouvement [486] ; le mobile allant d ’ un point à un autre n ’ a pas à parcourir une infinité de positions, mais seulement un nombre fini de minima, par un nombre fini de bonds indivisibles.
L ’ atome, lui, étant donné les propriétés dont il a à rendre compte, doit avoir une grandeur et une forme inaltérables, c ’ est-à-dire être composé de minima placés dans une position relative fixe. Cette grandeur ne va jamais d ’ ailleurs jusqu ’ à rendre l ’ atome visible ; quant à la diversité des formes, elle est aussi grande mais pas plus grande qu ’ il ne faut pour p.346 expliquer les propriétés des composés ; aussi, le nombre des espèces d ’ atomes est impossible à saisir), puisque dans notre seul monde nous ne connaissons pas toutes les espèces d ’ êtres, mais il n ’ est pas infini.
Il faut expliquer maintenant la cause du mouvement éternel, sans commencement ni fin, qui, selon l’hypothèse ionienne, anime l ’ infinité des atomes dispersés dans le vide infini. Il ne s ’ agit point ici d ’ un principe transcendant d ’ organisation, tel que celui des cosmologies rationalistes, pensée motrice ou démiurge, qui, même lorsque leur action est éternelle, la traduisent par des mouvements périodiques ayant un commencement et une fin, mais d ’ une cause de mouvement immanente et permanente attachée à la nature de
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