Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
exercice naissent les vertus qui sont inséparables de la vie de plaisir et en particulier la prudence, « plus précieuse que la philosophie elle-même [502] » , la prudence qui n ’ est autre chose que la volonté éclairée que nous avons décrite. Toutes nos vertus ne sont, comme elle, que des moyens de sécurité pour nous garantir des peines : telle est en particulier la p.361 justice « dont le plus grand fruit est l ’ ataraxie [503] ; » elle est faite de conventions positives par lesquelles les hommes s ’ engagent à ne pas se nuire réciproquement ; mais il est bien entendu que chacun de nous accepte les lois pour se protéger personnellement contre l ’ injustice et qu ’ il n ’ aura aucun scrupule à les violer, s ’ il y a quelque intérêt et peut le faire en toute sécurité.
Épicure admet donc en somme, dans ses vues sur la société, tout le conventionalisme des sophistes, sans orienter pourtant le moins du monde vers le cosmopolitisme des stoïciens. Nous voyons dans Plutarque Colotès polémiquer contre les cyniques pour défendre l ’ État, mais seulement parce qu ’ un gouvernement fort est une garantie pour l ’ individu. Ce n ’ est pas qu ’ à sa manière Épicure n ’ accepte une espèce de droit naturel : Le droit naturel est l ’ expression de ce qui sert aux hommes à ne pas se nuire les uns aux autres [504] . Il n ’ en est pas moins vrai que la justice reste relative aux pays. En général l ’ Épicurien, s ’ il ne se refuse pas complètement à participer à la vie politique, cherche, à moins d ’ exception, à « vivre caché » [505] et à rester simple particulier.
Bibliographie
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CHAPITRE IV
PRÉDICATION MORALE, SCEPTICISME ET NOUVELLE ACADÉMIE AUX IIIe ET IIe SIÈCLES
I. — POLYSTRATE L ’ ÉPICURIEN
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p.363 Il est impossible de mieux saisir les courants d ’ idées qui agitaient les esprits vers le milieu du II I e siècle que dans le petit traité Du Mépris irraisonné de Polystrate [506] qui succéda à Hermarque à la tête de l ’ école d ’ Épicure vers 250. C ’ est une espèce de protreptique, où l ’ auteur engage un jeune homme à quitter les autres écoles pour entrer dans l ’ école épicurienne.
On a vu que les Épicuriens niaient à peu près tout ce que les Stoïciens considéraient comme le fondement assuré de la vie morale : providence des dieux, âme du monde, unicité du monde et sympathie entre ses parties, destin, divination par les signes, toutes ces affirmations étant liées ensemble par la dialectique. Mais le dogmatisme stoïcien trouvait en même temps d ’ autres adversaires, les sceptiques et les nouveaux académiciens qui prétendaient garder intact l ’ esprit de Platon contre le dogmatisme envahissant.
Polystrate s ’ adresse à un jeune homme qui est près d ’ être séduit par cet antidogmatisme sceptique ; il y trouve en effet ce que les Épicuriens lui proposaient, l ’ impassibilité obtenue par la sagesse, capable de « supprimer le trouble vain qui p.364 vient des songes, des signes et de tout ce qui nous agite vainement (colonne I a). » Mais cette sagesse opère avec une méthode et dans un esprit tout différents ; les Épicuriens motivaient leurs négations par une physique fondée sur l ’ évidence ; au contraire les adversaires dont parle Polystrate, pour ébranler ces opinions fausses, critiquent toutes les connaissances et même les plus certaines. Ils y emploient la méthode qui est la plus odieuse à un Épicurien, la dialectique, qui sert plutôt « à ébranler l ’ opinion d ’ autrui qu ’ à produire en eux-mêmes l ’ ataraxie » dont ils se vantent (colonne XII a). Ils démontrent, en s ’ appuyant sur la diversité des opinions des hommes, qu ’ il n ’ y a ni beau ni laid, ni bien ni mal, ni rien de pareil. « Embarrassant notre vie des embarras des autres hommes » , ils deviennent incapables de distinguer « quelle fin recherche notre nature et de quoi cette fin se compose » . On ne peut définir d ’ une manière plus précise la dialectique, qui consiste en effet à faire découvrir à chacun l ’ incertitude de ses propres opinions.
Quels sont les philosophes visés par Polystrate ? II ne mentionne, dans le texte conservé, que « la secte de ceux qui se nomment les impassibles » et les cyniques, dont, en effet, on se rappelle le conventionalisme (colonne XII a) ; mais il ajoute qu
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