Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
formule s’est usée. Par exemple, la philosophie ionienne, du temps de Platon, est réduite aux balbutiements des derniers héraclitéens qui, de peur de fixer le fleuve mouvant des choses, ne veulent plus utiliser le langage. Ou encore, la description des choses intelligibles, chez les derniers néo-platoniciens comme Proclus et Damascius, arrive à une si minutieuse précision qu’on est forcé d’y sentir tout l’artifice d’un technicien professionnel et d’en voir le manque de sincérité ; et l’on pourrait en dire autant des dernières formes des systèmes de Fichte ou de Schelling. On voit ainsi naître comme des catégories historiques, mouvantes, modifiables, des thèmes généraux de pensée qui doivent remplacer les catégories massives dont usaient autrefois les historiens éclectiques ou hégéliens.
Ces très brèves indications excluent la possibilité de terminer cette introduction en formulant rien qui ressemble à une loi de développement de la pensée philosophique ; il ne s’agit pas de construire, mais seulement de décrire. Ce que l’on ne peut plus faire, c’est écrire l’histoire en prophète après coup ; comme si l’on voulait donner l’impression que la pensée philosophique naissait peu à peu et se réalisait progressivement. Nous ne pouvons plus admettre comme Aristote, le père de l’histoire de la philosophie, que l’histoire est orientée vers une doctrine, qu’elle contient en puissance. L’histoire de la philosophie nous enseigne que la pensée philosophique n’est pas une de ces réalités stables qui, une fois trouvées, subsistent comme une invention technique ; cette pensée est sans cesse remise en question, sans cesse en danger de se perdre en des formules qui, en la fixant, la trahissent ; la vie spirituelle n’est que dans le travail et non dans la possession d’une prétendue vérité acquise.
L ’ ouvrage présent, dont paraît le premier fascicule, s ’ efforce de donner une esquisse aussi claire et aussi vivante que possible de ce travail ; il a été inspiré par le désir de servir de guide dans cet immense passé de la philosophie, que les recherches historiques de détail révèlent chaque jour plus complexe et plus nuancé. Aussi a-t-il été jugé indispensable de donner au lecteur les moyens de juger de la fidélité de cette esquisse et d ’ en préciser les traits : c ’ est pourquoi chaque chapitre est accompagné de renvois aux textes les plus importants et suivi d ’ une bibliographie sommaire, indiquant, avec les éditions des auteurs, les ouvrages et articles qui ont paru essentiels [38] .
Bibliographie générale
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I
P É R I O D E
H E L L É N I Q U E
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CHAPITRE PREMIER
LES PRÉSOCRATIQUES
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Dans la première période, la période hellénique qui s ’ achève avec la mort d ’ Alexandre (323), la philosophie s ’ est développée en pays grec et successivement en divers centres : cette succession correspond aux vicissitudes politiques. Elle naît au V I e siècle au pays ionien, dans les villes maritimes alors très riches et commerçantes. A partir de 546, l ’ Ionie est soumise par les Perses, et la grande ville de Milet est ruinée en 494. Le centre de la vie intellectuelle se déplace ; c ’ est dans l ’ Italie du sud et la Sicile que nous voyons se transporter la philosophie. Enfin, après les guerres médiques, au temps de Périclès (mort en 429), Athènes devient la capitale intellectuelle de la Grèce comme celle du nouvel empire maritime, qui devait durer jusqu ’ à la guerre du Péloponèse. Dans ce développement, les Ioniens jouent le principal rôle ; les premiers philosophes de la Grande-Grèce sont des émigrés ioniens ; et ce sont également des Ioniens qui sont, à Athènes, les premiers propagateurs de la philosophie. Pourtant en chacun de ces centres la pensée philosophique prend des caractères différents.
I. — LA P H YSIQUE MILÉSIENNE
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Il est difficile de préciser la signification exacte et la portée du mouvement d ’ idées qu i a eu lieu à Milet au VI e siècle avant notre ère. Des trois philosophes milésiens qui se sont succédé p.42 dans la cité alors la plus puissante et la plus florissante de l’Asie Mineure grecque, le premier [39], Thalès, n’a rien écrit, et il est connu par une tradition qui ne remonte pas au delà d’Aristote ; les deux autres, Anaximandre et Anaximène, dont chacun est l’auteur d’un
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