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Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique

Titel: Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Émile Bréhier
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espèces au sein des choses. L’auteur que Jean de Salisbury [795] présente comme le type du réaliste, Gauthier de Mortagne, soutient que les universaux doivent être unis aux individus. Pierre Lombard, d’ailleurs, contrairement à saint Anselme, dégage le dogme de la Trinité de toute supposition réaliste, en prenant soin de distinguer radicalement l’unité des trois personnes en Dieu de l’unité des espèces dans le genre ou de l’unité des individus dans l’espèce [796]. Le champ est donc laissé libre à une doctrine qui vient d’Aristote et de Boèce, et qui peut se résumer en deux articles : il y a, dans les choses, des formes universelles qui sont comme des images des Idées divines ; ces formes n’existent pas en soi, mais ne sont saisies séparées que par une abstraction de l’intellect.
    p.589 Le problème théologique, tel que le pose Abélard, dérive du même état d’esprit que le problème des universaux.. L’enseignement dialectique, finit par créer une certaine structure mentale, ou, si l’on aime mieux, par imposer une certaine manière de classer la réalité : de toute chose, on se demande dans laquelle des cinq voix de Porphyre ou des dix catégories d’Aristote elle rentre : de toute chose, et même de la réalité divine, à propos de laquelle les théologiens les plus orthodoxes prononcent les mots de substance, d’essence, de propre, de relation, d’identique et de divers. C’est la question que l’on se pose à la suite de Boèce, dont le De Trinitate n’a pas d’autre sujet que l’application des termes de la dialectique à la réalité divine. L’on se rappelle la solution de Scot Érigène.
    La question est une de celles qui a passionné le XII e siècle ; et la Théologie chrétienne d’Abélard contient sur ce point non seulement son enseignement propre, mais un tableau de celui de ses contemporains. On a vu plus haut que saint Bernard et son parti accusaient Abélard d’exagérer le rôle de la dialectique dans la connaissance des choses divines. Croirait-on que toute l’œuvre d’Abélard est précisément dirigée contre des dialecticiens qu’il accuse de la faute qu’on lui reproche ! « Dans cet opuscule, nous entendons non pas enseigner la vérité, mais la défendre, et surtout contre les pseudophilosophes qui nous attaquent avec des raisonnements philosophiques [797]. » Abélard tient donc une position moyenne entre les théologiens radicaux qui, considérant les distinctions dialectiques comme vraies des choses sensibles seules, repoussaient leur application à la réalité divine et les hyperdialecticiens qui voulaient appliquer telles quelles les distinctions dialectiques à la Trinité.
    De cette seconde position dérivent les « hérésies » que nous dépeint Abélard : celle d’Albéric de Reims qui, de ce que le Père et le Fils sont un seul Dieu, concluait que Dieu s’est p.590 engendré lui-même ; celle de Gilbert l’Universel qui voulait distinguer en Dieu, outre sa divinité et les trois personnes, les trois essences : paternité, filiation et procession, selon lesquelles se distinguent les personnes ; celle d’Ulger, écolâtre d’Angers, qui distinguait en Dieu les attributs comme la justice et la miséricorde au même titre que les propriétés des personnes ; celle de Joscelin de Vierzy qui enseigne que Dieu peut se tromper, puisque certaines choses arrivent autrement qu’il ne les a prédites ; enfin celle dont Abélard accuse les Chartrains d’après qui Dieu ne serait pas antérieur au monde [798].
    On suit facilement dans toutes ces « hérésies » l’application des règles dialectiques : Albéric applique la notion de substance ; Gilbert, la règle qui veut que chaque être ait une essence distincte ; Ulger ne voit dans les Catégories aucun moyen de distinguer les personnes (Père, Fils) des autres attributs de Dieu ; Joscelin de Verzy applique aux textes sacrés la notion de la modalité des propositions ; les Chartrains, la règle que la cause ne peut exister sans l’effet.
    La solution d’Abélard paraît d’abord être tout à fait radicale : Dieu ou ce qu’on dit de lui ne rentrent en aucune catégorie ; on ne peut même dire qu’il est substance, puisque la substance selon Aristote est le sujet des accidents et des contraires ; aucun nom ne lui convient ; « en lui-même, Dieu enfreint les règles des philosophes ». Mais à côté de cette application brutale de

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