Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
double principe : d’abord les règles communes de l’attribution ne s’appliquent pas à Dieu : Dieu ne peut être considéré comme un sujet logique dont les attributs se rangeraient suivant les catégories quiddité, qualité, quantité, etc. ; car il est impossible de faire rentrer Dieu, qui est un terme singulier, dans un genre et dans une espèce, et la diversité de ses attributs ne désigne jamais qu’une essence unique. D’autre part, les règles relatives aux causes s’appliquent à la fois aux choses naturelles et à la réalité divine : si un prédicat est vrai d’un sujet, que ce sujet soit Dieu ou un être de la nature, nous avons toujours le droit de dire qu’il y a une cause par laquelle ce prédicat lui appartient, et que la cause de l’attribution est différente de l’attribut lui-même ; s’il est vrai que Dieu est juste, il y a une cause qui fait qu’il est juste, et cette cause est différente de l’attribut juste qui en énonce les effets par rapport à nous.
Dans ce second principe, il faut voir une application nouvelle des idées du Monologium de saint Anselme qui consiste à remonter à la nature de Dieu en se référant à la variété de ses attributs, ou, comme disait Denys l’Aréopagite, de ses noms.
XI. — LES HÉRÉSIES AU XIIe SIÈCLE
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p.598 La dernière partie du XII e siècle et le commencement du XIII e , occupés par le pontificat d’Innocent III (1198-1216) et sa lutte contre l’Empire, par le conflit des barons anglais contre les rois de la dynastie angevine, est une époque plus troublée et tumultueuse que jamais, à laquelle mettront fin d’une part le concile de Latran (1215) qui confirme les doctrines sur la puissance des papes, et, du même coup, institue les tribunaux d’inquisition et autorise la création des ordres mendiants, et la Grande Charte (1215) qui règle les libertés anglaises, tandis que, un an auparavant (1214), le pouvoir des Capétiens avait été affermi à Bouvines.
Pour comprendre l’importance de ces événements qui, nous le verrons, ont pesé d’un poids énorme sur l’histoire des idées, il faut se représenter les mouvements qui agitaient ce XII e siècle finissant : d’une part un vaste mouvement social d’émancipation contre l’Église qui se manifeste par des hérésies très populaires et par des doctrines hétérodoxes : d’autre part, un mouvement humaniste et doctrinaire, dont Jean de Salisbury, l’élève d’Abélard et des dialecticiens de France, le conseiller de l’archevêque Thomas Becket, est le meilleur représentant.
Dans ces hérésies nombreuses, dans ces associations de Béguines, de Capuciés, d’Humiliés, de Pauvres catholiques, comme chez les Cathares et les Albigeois ou les Vaudois, il est difficile de déterminer où finissent les questions de discipline, où commencent les questions de doctrine. Déjà, au milieu du siècle, un élève d’Abélard, Arnauld de Brescia prêchait que les ecclésiastiques ne pouvaient être sauvés s’ils possédaient des terres ; il fut assez puissant pour faire chasser le pape de Rome en 1141. Le fond substantiel de ces hérésies paraît bien être toujours le même : la prédication d’un idéal de vie religieuse et sainte, par un retour à la simplicité évangélique et p.599 un complet affranchissement de l’Église et des sacrements. Des illuminés se proclament fils de Dieu. Un Pierre de Bruys nie la valeur du baptême et la présence réelle dans l’Eucharistie, et veut abattre les églises et supprimer le culte extérieur. Vers 1170, le Lyonnais Pierre Waldès (fondateur de la secte des Vaudois), « usurpant l’office de Pierre », prêche la pauvreté évangélique ; Alain de Lille nous dit qu’il nie toute autorité religieuse et même toute autorité humaine, la valeur du sacrement de l’ordre, l’institution de l’absolution et des indulgences.
Le même Alain de Lille parle, dans son Contra Haereticos , d’hérétiques qu’il ne nomme pas, mais où il est aisé de reconnaître les fameux Cathares ou Albigeois, qui dominaient dans le sud de la France ; on y voit comment les opinions doctrinales sont liées à cet idéal de vie. L’ambition d’une sainteté, route pure et dépouillée, ne va pas sans la croyance que notre âme est une force céleste déchue, et emprisonnée par des forces adverses et mauvaises. Mais cette croyance se transforme chez les Albigeois en une doctrine précise, où nous
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