Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
production du nouveau. On le voit, les péripatéticiens, appuyant l ’ éternité du monde sur la simplicité du premier principe ne pouvaient expliquer le multiple et le changeant que grâce à une matière indépendante ; la négation de cette matière amenait soit à nier ce changement, soit à mettre en Dieu un pouvoir créateur, bien différent de l ’ acte pur d ’ Aristote.
Du même esprit partent les critiques de Guillaume contre les théories arabes de la connaissance qui introduisaient dans l ’ âme même l ’ opposition de matière et de forme, en montrant l ’ intellect en puissance passant à l ’ acte sous l ’ influence d ’ un intellect toujours en acte. Guillaume non seulement refuse d ’ accepter cet intellect agent séparé qu ’ Avicenne (et selon lui Aristote) plaçaient dans la sphère de la lune ; mais il réfute une théorie anonyme des péripatéticiens chrétiens qui, faisant de l ’ intellect agent comme de l ’ intellect matériel une faculté de l’âme elle-même attribuait au premier une action qui consiste à faire passer à l ’ acte les signes intelligibles qui sont en puissance dans le second ; on attribuerait à l ’ âme une science toujours actuelle qui, comme la réminiscence de Platon, rendrait inutile toute instruction. Guillaume n ’ admet en l ’ âme qu ’ un intellect unique, qu ’ il appelle l ’ intellect matériel ; de cet p.643 intellect se développent, comme de la semence l ’ être adulte, et sous l ’ influence des sensations et des images, les formes intelligibles dont il est gros. L ’ on sent à quel point cette théorie s ’ éloigne de celle qui réduit l ’ intelligence à la faculté d ’ abstraire ; l ’ abstraction n ’ est pas, selon Guillaume, inhérente à la connaissance des formes intelligibles ; elle vient de notre imperfection et de la faiblesse de notre vue spirituelle ; le type de la connaissance intellectuelle, c ’ est la connaissance de soi, c ’ est-à-dire de ses opinions, de ses doutes, donc d ’ un être particulier.
V. — DOMINICAINS ET FRANCISCAINS
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Des attitudes plus nettes que celle de Guillaume d ’ Auvergne allaient engendrer les conflits qui agitèrent les universités de Paris et d ’ Oxford pendant toute la seconde moitié du XII I e siècle. Vers la fin du siècle, en 1284, alors que ces agitations étaient presque apaisées, le franciscain Jean Peckham, archevêque de Canterbury, écrivait à la curie romaine : « Que la sainte Église romaine daigne considérer que la doctrine des deux ordres (franciscain et dominicain) est actuellement en opposition presque complète sur toutes les questions dont il est permis de disputer ; la doctrine de l ’ un de ces deux ordres, délaissant et, jusqu ’ à un certain point, méprisant les enseignements des pères, se fonde presque exclusivement sur les enseignements des philosophes » [829] . Et il précisait en une lettre de 1285 à l ’ évêque de Lincoln : « Vous savez que nous ne réprouvons aucunement les études philosophiques pour autant qu ’ elles servent aux dogmes théologiques ; mais nous réprouvons ces nouveautés profanes qui, contre la vérité philosophique et au détriment des Pères, se sont introduites il y a environ vingt ans dans les profondeurs de la théologie, entraînant le rejet p.644 et le mépris manifestes de la doctrine des Pères. Quelle est donc la doctrine la plus solide et la plus saine, celle des fils de saint François, c ’ est-à-dire de frère Alexandre de Halès, de frère Bonaventure et de leurs pareils dont les œuvres... se fondent à la fois sur les pères et sur les philosophes ; ou bien cette doctrine nouvelle qui lui est presque totalement contraire, qui consacre ses forces à détruire et à ébranler tout ce qu ’ enseigne saint Augustin sur les règles éternelles et la lumière immuable, les puissances de l ’ âme, les raisons séminales innées dans la matière ? »
Ainsi deux esprits s ’ opposent : l ’ esprit franciscain, nourri de saint Augustin et représenté par Bonaventure ; l ’ esprit dominicain, issu d ’ Aristote, et représenté par Albert le Grand et saint Thomas d ’ Aquin. D ’ un côté, une doctrine où la philosophie, mal distinguée de la théologie, s ’ efforce, selon le modèle néoplatonicien, d ’ atteindre au moins par image la réalité divine : de l ’ autre, une séparation complète entre la théologie
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