Histoire de la philosophie. Tome I, L'Antiquité et le Moyen Âge. I. Période hellénique
comme le voulait saint Anselme, passer à son existence ; ce n ’ est pas, non plus, comme saint Thomas, en remontant des effets à la cause ; le principe de cette démonstration :« Tout ce qui est mû est mû par autre chose » , n ’ est lui-même ni évident ni démontré (et nous verrons bientôt quelles attaques il a subies de la part des occamistes) ; l ’ autre principe, qu ’ il faut s ’ arrêter en remontant dans la série des causes, à une cause première, est probable, mais ne peut être strictement prouvé. A plus forte raison, l ’ unité de Dieu, son infinité, la trinité des personnes sont de purs articles de foi.
Une foi aussi complètement extérieure et imperméable à la raison, amène à considérer comme arbitraires autant qu ’ obligatoires les préceptes moraux qui viennent de Dieu : les commandements du Décalogue sont de purs actes de la volonté de Dieu, à qui nous devons obéissance sans avoir d ’ autres raisons que cette volonté. « Dieu n ’ est obligé à aucun acte ; c ’ est donc ce qu ’ il veut qu ’ il est juste de faire. »
V. — LES NOMINALISTES PARISIENS DU XIVe SIÈCLE :
LA CRITIQUE DU PÉRIPATÉTISME
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Les théories d ’ Occam furent interdites à la faculté des arts de l ’ Université de Paris en 1339 et en 1340 ; plus d ’ un siècle après, en 1473, un édit du roi Louis XI interdit à nouveau l ’ occamisme, et les maîtres doivent s ’ engager par serment à enseigner le réalisme. Entre ces deux dates, tandis que la science d ’ Oxford languit, il s ’ est produit à l ’ Université de Paris ce mouvement nominaliste, si important pour l ’ histoire des sciences et de la philosophie, que P. Duhem est le premier à p.724 avoir bien étudié et à avoir estimé à sa juste valeur. Le pape Clément VI, en 1346, ne voyait pas sans inquiétude les maîtres ès arts se tourner vers ces « doctrines sophistiques » [872] . On sait déjà qu ’ il condamna l ’ année suivante les thèses du cistercien Jean de Mirecourt qui, inspiré par Duns Scot, déclarait que Dieu est la seule cause et, avec Occam, que la haine du prochain n ’ est déméritoire que parce qu ’ elle est défendue par Dieu.
En 1346, il condamna les thèses d ’ un autre maître, un maître ès arts, Nicolas d ’ Autrecourt, qui dut les abjurer publiquement l ’ année suivante devant l ’ Université rassemblée. Une physique corpusculaire où tout changement se réduit à un mouvement local, un monde où la seule cause efficace est Dieu et où l ’ on nie toute causalité naturelle, telle est l ’ image simple de l ’ univers que Nicolas proposait pour remplacer la physique et la métaphysique aristotéliciennes qui, à son avis, ne contenaient pas une seule démonstration et que l ’ on devrait bien abandonner pour étudier son Éthique et sa Politique.
Et cette négation, il la démontre en attaquant les deux grandes notions qu ’ utilisent la physique et la métaphysique, à savoir celle de causalité et celle de substance. La méthode de ces critiques, qu ’ on a comparées à celles de Hume, mais qu ’ on doit rapprocher surtout des tropes sur les causes de Sextus Empiricus, dont les Hypotyposes étaient connues depuis la traduction de Guillaume de Moerbeke, consiste essentiellement à appliquer comme critère de vérité le principe de contradiction, tel qu ’ il se trouve énoncé dans la métaphysique. Dès lors, il montrera aisément que « de ce qu ’ une chose est connue comme existence, il ne peut être inféré avec évidence (d ’ une évidence réductible au premier principe ou à la certitude du premier principe) qu ’ une autre chose existe » . De ce que la flamme s ’ approche de l ’ étoupe, on ne peut en conclure avec évidence p.725 qu ’ elle sera brûlée. Je puis conclure seulement avec probabilité, de ce que ma main s ’ est réchauffée en l ’ approchant du feu, qu ’ elle se réchauffera dans les mêmes conditions. Une pareille critique était l ’ effondrement de la physique péripatéticienne, qui tenait le lien de causalité comme parent du lien d ’ identité (toute causalité étant en principe la production du semblable par le semblable) et qui assurait ainsi l ’ unité du devenir, l ’ unité du monde et par elle le monothéisme, tandis que, chez Nicolas, le devenir devient une succession de moments sans liaison.
La même critique s ’ exerce sur la notion de
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