Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
directeur de cabinet de François Mitterrand. Dans le bled, les administrateurs souhaitent cette consultation loyale, mais Paris veut les ignorer aussi et nomme Catroux ministre résident chargé de préparer le cessez-le-feu… C’est la colère, la fureur — l’homme qui a ramené le sultan du Maroc depuis son exil —, il va brader l’Algérie… L’humeur est telle à Alger, en quelques heures, que Guy Mollet rapporte la nomination : sa première capitulation. La seconde a lieu le 6 février, lorsque, accueilli par une foule déchaînée, iltransforme son projet de négociation — qui se poursuit pourtant, mais en secret — et nomme Robert Lacoste à la place de Catroux. Très vite, celui-ci ne se bat que sur le front du terrorisme, qui devient le front de la guerre, alors qu’il avait promis à Guy Mollet — qui voulait se venger des colons — de se battre aussi contre les pieds-noirs qui saboteraient sa politique, définie par le triptyque : cessez-le-feu, élections, négociations. Au contraire, ceux-ci, peu à peu, le laissent agir, car il fait la guerre et s’est enfermé dans des formules péremptoires qui le contraignent à appeler toujours plus de troupes puisque, selon Lacoste, on en est « au dernier quart d’heure ».
Ainsi, petit à petit, une autre politique se mettant en place, disparaissent de la scène ces piliers de l’Algérie, ces grands féodaux dont les petits colons se sentaient solidaires et qui faisaient la loi : le sénateur Borgeaud, le grand propriétaire du domaine de la Trappe, maître de la vallée du Chelif ; le sénateur armateur Schiaffino ; l’ancien député Blachette, propriétaire du Journal d’Alger, et roi de l’alfa ; seuls Alain de Serigny, directeur de L’Echo d’Alger et maire de la ville, Jacques Chevallier, aux idées relativement progressistes, jouent un rôle politique actif : mais on rejette déjà Chevallier, qui a dit : « Avec ou sans chéchia, je resterai en Algérie. » Que pouvait signifier ce propos ?
Tout cela commence à échauffer ceux qui ne voulaient ni voir ni entendre : ils ont assez de sens pour observer que les « gros », en cas de malheur, auront des bases en France, pas les petits, les pieds-noirs, ceux qu’a incarnés La Famille Hernandez — Espagnols, ou Juifs, ou Français. Mais que Paris parle de réformes et, aussitôt, les notables de l’Algérois s’y opposent. Ils s’opposent aussi à une hausse du salaire minimal et accablent Paris de télégrammes, de délégations de la Chambre de commerce, « nous allions ruiner l’économie algérienne ».
A Pierre Mendès France, Henri Borgeaud indique par ailleurs qu’il serait imprudent de mener des réformes administratives à l’heure « actuelle ». C’est bien ce que pense aussi René Mayer, ancien député de Constantine, qui tient bien des voix à la Chambre.
« Du haut au bas de l’échelle, tous les corps organisés enAlgérie étaient ligués contre toute tentative de réformes venues de Paris » (Pierre Nicolaï, Georgette Elgey, le 23 février 1968). Le diagnostic était exact.
Depuis, grâce à Franz-Olivier Giesbert et Benjamin Stora, l’Histoire a rendu justice sur un point à l’action de François Mitterrand qui, le 5 novembre 1954, aux lendemains de l’insurrection 1 , a déclaré devant la Commission de l’Intérieur de l’Assemblée nationale que « l’action des fellaghas ne permet pas de concevoir, en quelque forme que ce soit, une négociation. Elle ne peut trouver qu’une forme terminale, la guerre », phrase que les polémistes avaient resserrée en une formule lapidaire, « la seule négociation, c’est la guerre ». Mieux, dans la circulaire 333, François Mitterrand, précisant ses instructions concernant la surveillance des militants nationalistes algériens, indiquait que ces mesures « ne doivent pas entraîner les erreurs qui, dans le passé, ont pu laisser croire que la loi garantit à un moindre degré les citoyens français musulmans ».
L’Histoire lui en donne acte ; elle constate néanmoins que la mesure essentielle prise alors par le ministre chargé de l’Algérie à la suite des attentats commis en novembre 1954… fut la dissolution du grand parti nationaliste, le MTLD.
Pierre Mendès France nomma alors Jacques Soustelle, proche de De Gaulle, gouverneur de l’Algérie — ce qui était pour les colons un mauvais signe. Le nouveau gouverneur reçut un accueil
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