Histoire des colonisations: Des conquetes aux independances, XIIIe-XXe siecle
nécessairement à une exigence économique. Au reste, le Japon a d’abord frappé là où il repérait une faiblesse, une possibilité, Ryu-Kyu, les Bonin, la Corée, la Chine… C’est en Corée que l’intérêt économique l’a disputé, pour la première fois, à cette exigence de domination à l’extérieur, justifiée par la défense du pays contre d’éventuelles menaces, puis par la « mission » du Japon (traité de Shimonoseki, 1895).
Pour les uns, il s’agit d’une mission civilisatrice venue du Ciel… et les colonies sont perçues comme des territoires extérieurs, qu’on traite de façon paternaliste. Pour les autres, eu égard à la nature asiatique du Japon, il s’agit d’assimiler les populations, de les nipponiser, ce qui est possible, étant donné leurs racines voisines, et juste, en vertu des principes de Confucius qui exigent que l’égalitérègne sous la même domination — en l’occurrence celle de l’empereur.
Pourtant, une troisième conception allait bientôt prendre la relève, à la veille de la Seconde Guerre mondiale ; les conquêtes coloniales — au-delà de la Corée, de Formose, etc., déjà occupées — se justifiaient au seul nom de la supériorité du peuple japonais. Cette vision comportait de forts relents de racisme.
Parmi les manifestes qui définissent une politique coloniale ou expansionniste — tels ces discours de Jules Ferry ou de Joseph Chamberlain au XIX e siècle —, un des plus explicites est un immense rapport japonais, de 1942-1943, intitulé « Projet d’une politique globale dont la race Yamato serait le noyau ». Écrit par une quarantaine de chercheurs du ministère de la Population et de la Santé, ce rapport est bien la traduction d’un projet qui se réalise en partie — il ne demeurera pas enfermé dans des tiroirs.
Ce projet vise à légitimer la colonisation, par le Japon, d’une bonne partie de l’Asie et de l’océan Pacifique, au nom d’une idée de l’Asie, que le Japon rénovera dans cette « Sphère de coprospérité ».
Le terme de race ne s’entend pas au sens biologique du terme (jinshu) , tel que les nazis l’ont utilisé par exemple. Il s’agit de quelque chose de plus large, minzoku , c’est-à-dire une culture incarnée par un peuple, le Japon se situant au sommet de cette échelle culturelle et étant ainsi destiné à diriger les autres, grâce à la synthèse qu’il a accomplie entre l’Orient et l’Occident. Pourtant, dans le projet de colonisation de ces hauts fonctionnaires, il est entendu que l’établissement de colons, prévu dans le programme, doit s’effectuer par des regroupements autour de « villes japonaises » un peu partout, les mariages mixtes devant être limités au minimum, « non parce que les sang-mêlé sont généralement des inférieurs, mais parce que ces mariages mixtes détruiraient la solidarité psychique de la race Yamato ». Douze millions de ces Japonais devaient ainsi s’installer à l’étranger, en Corée, en Indochine, aux Philippines, etc., et, parmi eux, deux millions en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans ces territoires, chacun doit « demeurer à sa place », les Japonais occupant la positiondominante, naturellement ; « ils planteraient leur souche dans ces pays », ce qui permettrait de résoudre le problème démographique, souci essentiel des dirigeants, puisque à cette date, vers 1942-1943, avec 1 % du sol mondial, le Japon comptait 5 % de la population mondiale.
Le slogan « Huit directions pour un seul toit » définit bien la conception japonaise de la colonisation des autres : la sphère de coprospérité est identifiée à une grande famille que dirigerait son frère aîné — au Japon, cette hiérarchie familiale des droits et des pouvoirs est un des fondements les plus stricts des rapports sociaux. Au reste, le rôle du frère aîné se justifie par sa supériorité sur les autres peuples, ce que tout Japonais a appris à l’école : « Les Chinois, juge le Rapport , sont indolents ou tricheurs [ flunky ], les Malais paresseux, les Philippins leur sont peut-être supérieurs, mais ils n’ont pas de vraie civilisation ; les Coréens sont aptes aux travaux les plus durs : on pourrait les envoyer en Nouvelle-Guinée. »
Mais, historiquement, les membres de cette grande famille ont eu à connaître, dès le début du siècle, les manières de l’aîné, ce qui a été dû, pour les uns, à l’éducation
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