Histoire du Japon
monacale. Il avait irrémédiablement perdu sa couronne, mais il n’abandonna pas les plaisirs terrestres.
De sa femme principale, Kaneie eut deux filles et trois fils : Akiko et Yukiko, Michitaka (957-995), Michikane (961-995) et Michinaga (966-1027). Ses fils devinrent tous trois régents, et Michinaga fut, sinon le plus grand, du moins le plus célèbre des dictateurs Fujiwara. Parmi les nombreuses dames de rang divers avec qui Kaneie eut des relations intimes, son épouse secondaire lui donna en 955 un garçon nommé Michitsuna, qu’il reconnut pour fils mais non comme successeur à la régence. S’il occupe dans l’histoire une modeste place, c’est uniquement parce que son nom apparaît dans un ouvrage intitulé Kagerô nikki, Journal d’une éphémère, où sa mère raconta sa vie avec Kaneie.
Ce journal, qui est l’une des œuvres littéraires les plus importantes de l’époque et du genre, est non seulement un document touchant, porteur d’une émotion profonde et volontiers mélancolique, mais un document qui jette une abondante lumière sur les coutumes et la moralité du temps. L’auteur, dont le nom nous reste inconnu, était la fille de Fujiwara Tomoyasu, gouverneur de la lointaine province de Mutsu. Elle fut, dit-on, l’une des beautés de son époque. Elle raconte la cour que lui fit Kaneie, citant maints des poèmes qu’ils échangèrent. Elle dit la naissance de son fils, un an après qu’ils se sont rencontrés, puis la froideur de son amant et la peine qu’elle ressent en apprenant ses nombreuses liaisons. Entre eux, la rupture n’est jamais complète, mais s’il lui rend d’occasionnelles visites, Kaneie est trop rarement affectueux, trop souvent négligent, et toujours absorbé par sa propre ambition. C’est un extraverti tonitruant et euphorique. Elle, de son côté, entretient sa douleur et se réjouit de le voir s’élever dans le monde. Elle vit à côté du palais, guettant matin et soir la toux par laquelle il signale son passage lorsqu’il prend ou quitte ses fonctions. Elle est sentimentale et larmoyante ; il est pratique, robuste et plein d’entrain. Elle menace de se suicider ; il jouit de la vie.
La liberté de sa conduite amoureuse, qui était en accord avec les normes contemporaines de comportement dans les classes supérieures, ne faisait évidemment l’objet d’aucune réprobation morale, et aucun stigmate d’illégitimité ne gâchait la vie des enfants issus de ce genre de liaisons. A cet égard comme à bien d’autres, le Journal d’une éphémère est une précieuse source de renseignements sur la société aristocratique du X e siècle. Il paraît vibrant de sincérité, contrairement à la plupart des anciens romans qui, comme la mémorialiste elle-même en fait la remarque, étaient des inventions prétendant décrire d’après une connaissance intime un style de vie dont les auteurs n’avaient en fait pas la moindre expérience. Ce qu’elle-même écrivait était manifestement vrai, et ce qu’elle observait était perçu avec une acuité d’autant plus vive que la jalousie la rendait plus intense.
Le journal s’achève en 974, alors que Kaneie n’est pas loin d’occuper la charge la plus haute du pays. Sa fille Akiko (également connue sous le nom de Senshi), alors âgée de douze ans, était la concubine de l’empereur Enyü, et dès qu’elle fut nubile elle engendra un fils, qui monta sur le trône à sept ans, en 986. C’est à ce moment-là que Kaneie devint régent (sesshô) et qu’Akiko reçut le titre de Kôtaigô, autrement dit d’impératrice douairière.
Sa vie est peut-être la meilleure illustration de la puissance des femmes à l’époque des régents Fujiwara. Elle avait une telle influence que c’est elle qui tranchait dans les affaires de succession, et la façon dont elle traitait l’opposition était impitoyable. Lorsque Michitaka mourut (995), il désigna son fils Korechika pour prendre sa place de kampaku. Frère favori de l’impératrice Sadako, très apprécié de l’empereur Ichijô lui-même, Korechika était un jeune homme très aimé, d’un tempérament plein de feu. Mais Akiko, qui ne l’aimait pas, parvint malgré tous ces atouts à forcer l’empereur à donner à Michinaga le titre de nairan, qu’il prit en 995 17 . Elle avait un immense prestige, et un caractère redoutable. En 991, elle s’était retirée de la cour, et, comme le dit la formule bouddhique, elle « avait quitté sa
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