Histoire du Japon
parure » (« rakushoku ») pour entrer en religion. Elle obtint le titre sans précédent de Higashi Sanjô no In, « in » étant jusque-là un titre réservé aux empereurs cloîtrés. Toutefois, elle ne laissa pas ses devoirs religieux prendre le pas sur sa participation aux affaires de l’État, mais s’installa dans la maison même de Michinaga, au cœur de la vie politique, où se tramaient toutes les intrigues.
Son nom apparaît dans une fameuse « chronique scandaleuse », à côté de celui de Korechika, son personnage central, dont elle était déterminée à contrarier les ambitions. Comme d’autres histoires du même genre, elle vaut la peine d’être rapportée de façon assez détaillée, car elle donne des intrigues de la cour une description qui, conjointement aux aspects qu’en dépeint le Journal d’une éphémère, nous offre une bonne image de la haute société sous son jour le moins reluisant.
Michitaka, père de Korechika, a laissé le souvenir d’un grand buveur, et l’on dit de lui (comme sans doute de bien d’autres ivrognes) que sur son lit de mort, pressé de prier Amida pour être admis au paradis, il demanda s’il pouvait être sûr d’y retrouver ses anciens compagnons de beuverie. Il ne fut régent que quelques années (990-995), laissant la place à son frère Michikane, qui ne l’occupa qu’une semaine avant de mourir à son tour, et devint dans l’histoire Nanuka Kampaku, ou le « Dictateur de Sept Jours ».
Il s’ensuivit une lutte pour la primauté entre Michinaga et son neveu Korechika, fils favori de Michitaka. En 995, Korechika avait vingt et un ans ; à dix-huit ans, il avait été fait sangi (conseiller d’État), et à vingt et un, nai-daijin. Son oncle Michinaga, vigoureux prétendant, avait alors trente ans, mais Korechika était l’enfant chéri de la cour, où il avait des amis influents. A dix-huit ans, lorsque son père était encore en vie, il avait fait grande impression sur Sei Shônagon, dame d’honneur de sa sœur, l’impératrice Sadako. Il récitait des vers avec une grande aisance, et son charme était tel qu’un jour, quand il s’approcha d’elle pour lui parler, elle manqua de s’évanouir. Il fournissait des thèmes pour les concours de poésie auxquels participaient les dames du palais, et dans ses Notes de chevet Sei fait maintes fois allusion à la splendeur de son costume, à la grâce de ses manières, à sa science, à son goût littéraire. Elle raconte notamment qu’un soir, il vint au palais et parla de littérature à l’empereur presque jusqu’à l’aube. Tous les courtisans s’éclipsèrent, sauf elle, et Sa Majesté s’endormit, la tête contre un pilier, pour être brusquement réveillée par les cris d’un coq pourchassé par un chien sur la galerie extérieure de l’appartement. Dans cette scène intime, un curieux contraste s’établit entre la vie simple, désordonnée et inconfortable du palais, et l’élégance courtoise du comportement de Korechika, qui cite alors fort à propos ce vers chinois tiré du Rôyeishu : « Sa voix surprit le monarque éclairé plongé dans le sommeil. »
Mais tous ses talents ne suffiraient pas à protéger le glorieux jeune homme des desseins de l’impératrice douairière Akiko et de son frère Michinaga. Si le souverain et ses intimes menaient dans les profondeurs du palais une vie protégée, la capitale traversait une période de désordre et de malheur. Il y avait de violentes querelles à la cour entre familles rivales, et des combats de rue entre factions, comme entre Montaigu et Capulet. Les incendies étaient fréquents ; les vols étaient monnaie courante ; les épidémies sévissaient. Il y avait des complots et des conspirations, et bien sûr des intrigues amoureuses clandestines dans lesquelles se trouvaient impliqués des personnages du plus haut rang. Sur le chapitre de la galanterie, Korechika n’était jamais en reste. Comme le voulait la mode parmi les jeunes nobles, il avait coutume, tard dans la soirée, de rendre secrètement (un secret de Polichinelle) visite à une jeune dame. Celle-ci vivait avec ses sœurs au palais d’Ichijô, qui comptait parmi les résidences des Fujiwara. Le bruit courait que l’empereur Kazan – qui s’était retiré contre son gré pour prendre la tonsure – fréquentait cette même maison aux petites heures, et Korechika, croyant qu’il allait retrouver sa propre maîtresse, se cacha une nuit dans le
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