Histoire du Japon
se firent de plus en plus froides et distantes. Mais la légèreté avec laquelle il usa de ses revenus fut peut-être plus grave encore que cet éloignement, et en tous cas plus préjudiciable au bonheur matériel du souverain régnant. Tandis que Go-Sanjô s’était efforcé de freiner l’expansion des terres échappant aux impôts, Shirakawa aliéna de vastes secteurs du domaine public pour subvenir aux dépenses que lui occasionnaient la construction et la décoration de monastères, mais aussi des extravagances moins vénielles. On dit qu’il fit sculpter plus de cent grands bouddhas et réalisa bien d’autres folies sous prétexte d’exprimer sa piété. Mais chaque hectare de terre à riz dont l’exonération servait à payer ses dépenses diminuait d’autant les revenus de la Couronne, et aggravait ainsi la situation de l’empereur titulaire. En recourant à des moyens comme la vente de charges publiques, il contribua par ailleurs au déclin de l’honnêteté fiscale et hâta la ruine du système administratif dont les régents Fujiwara avaient jusque-là préservé l’efficacité dans leur propre intérêt.
Une anecdote (rapportée dans le Kojidan) illustre l’attitude résolument civile de l’empereur Shirakawa et de sa cour à une époque où la puissance des familles militaires montait inexorablement. Alors qu’il avait abdiqué et menait, sous des dehors pieux, une vie de plaisir raffiné, il fit venir dans son palais un vieux guerrier infirme pour qu’il lui raconte ses campagnes. « Un jour, commença le soldat, alors que Yoshiie avait quitté le quartier général de défense pour la forteresse d’Akita, il neigeait légèrement et les hommes… – Arrêtez, l’interrompit Sa Majesté, l’image est des plus élégantes et des plus remarquables. Inutile de rien ajouter. » Et, satisfait du tableau qu’avait évoqué le vieillard, l’empereur le renvoya avec un beau cadeau – il ne voulait connaître aucun détail de la vie militaire, et surtout rien de ses difficultés.
Ainsi, une fois détruit le pouvoir des régents, le régime des empereurs cloîtrés se révéla encore plus nuisible à l’État. Il ouvrit de larges fissures dans la classe dirigeante, et invita à la révolte ceux dont il mettait en danger le bien-être, et parfois la subsistance même.
L’empereur Toba, né en 1103, succéda à Horikawa, son père, alors qu’il était âgé de quatre ans, et abdiqua en 1123 en faveur de son fils Sutoku. En 1129, à la mort de Shirakawa, il reprit le pouvoir, cette fois en tant qu’empereur cloîtré. Il ne s’était jamais bien entendu avec son fils, et le fossé qui les séparait ne fit que s’élargir. Il y avait en outre des disputes entre Sutoku et le régent Fujiwara Tadazane, disputes qui, semble-t-il, portaient essentiellement sur le choix et le traitement des concubines. Ces sordides affaires ne méritent pas qu’on s’y arrête, et n’ont d’autre intérêt que de démontrer l’indigence du système dont elles étaient le fruit. C’est à ce moment-là que commença à se manifester l’opposition entre les « hommes nouveaux » et les défenseurs de la tradition qui, comme Moromichi et Yorinaga, représentaient une classe d’hommes d’État qui n’était certes pas sans défaut, mais où l’on défendait encore certains critères de compétence et de dignité.
On ne sait pas grand-chose de Moromichi, sauf qu’il était résolument et activement hostile à tout ce que représentait le gouvernement de cloître. Lorsqu’on lit les chroniques de cette passionnante époque de l’histoire du Japon, on est déçu de ne pas trouver de portrait très détaillé de ses grands personnages. Dans les journaux intimes et autres documents du genre, certains passages nous disent quelle opinion on avait d’eux, mais de façon généralement succincte et insipide. La littérature japonaise n’aime guère l’étude de caractère ; elle préfère une description lapidaire qui suggère la personnalité et éveille la curiosité sans la satisfaire, de sorte que l’histoire telle que les Japonais la narrent semble manquer d’intérêt humain. Ce défaut vient peut-être de la concision du style chinois dans lequel il était de bon ton d’écrire, mais il paraît aussi trahir un manque réel de goût pour l’étude de la nature humaine. Ainsi, tout ce que nous dit de Moromichi un ouvrage historique comme le Honchô seiki est qu’il devint kampaku et chef
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