Histoire du Japon
naturel, qui est sensible à la qualité bonne ou mauvaise (c’est-à-dire à l’éthique) de leurs actions. Ainsi, les anomalies, les ruptures d’avec le cours normal des choses – les tempêtes, les famines, mais aussi des phénomènes comme les éclipses et les comètes – pouvaient être en rapport direct avec le comportement des hommes. Pour prendre des exemples attestés, on pouvait imputer des pluies ou des crues excessives à l’injustice d’un gouvernant, une sécheresse prolongée à son incompétence, une chaleur intense à sa négligence.
Conformément à cette vision du monde, les méfaits des individus étaient considérés non comme des crimes contre la loi humaine mais comme de « dangereuses perturbations dans le réseau complexe de causes et d’effets par quoi l’humanité était de tous côtés liée à la nature environnante ». D’où il résultait qu’on ressentait comme mal le fait de s’écarter des principes naturels, des anciens usages et du sentiment traditionnel de ce qui était convenable et bienséant – en un mot, de ce que le li résumait –, et de juger du juste et de l’injuste selon des normes légales assorties de peines graduées. C’est ainsi que, dans les sociétés extrême-orientales, on trouve une répugnance à s’engager dans une législation pénale détaillée, et une préférence pour l’arbitrage et le compromis. Dans le premier code japonais existant, qui suit le modèle Tang, un seul des trente chapitres est consacré à la pénalité, les autres traitant essentiellement des questions administratives et du rituel. La préface du code Tang lui-même résume d’ailleurs cette position en disant qu’il est dangereux d’« abandonner le li pour le domaine des punitions ». Cet éloignement volontaire des sanctions a pour conséquence que, tout comme on répugne à donner une définition légale stricte des devoirs de l’homme, aucune disposition n’est prise pour garantir ses droits. En réalité, le concept de droits individuels se rencontre rarement dans la pensée extrême-orientale, et jamais l’accent n’est mis sur les droits aux dépens des devoirs. La pensée chinoise voit « seulement des devoirs et des compromis réciproques régis par les idées d’ordre, de responsabilité, de hiérarchie et d’harmonie », rappelle Escarra dans son étude le Droit chinois.
Il est peu vraisemblable que les Japonais du vue siècle aient pleinement compris la nature de la société chinoise, n’ayant pas vécu l’expérience de la Chine ; mais lorsqu’ils adoptèrent le système de gouvernement Tang, force leur fut d’accepter (ne serait-ce que formellement) les principes directeurs sur lesquels il était fondé. Ceux-ci se résument à une combinaison des idées du yin-yang et de l’analyse hautement schématique des Cinq Éléments de l’univers familière à tous les étudiants de philosophie chinoise, et qui a profondément influencé la pensée extrême-orientale dans le sens où elle a fourni des catégories toutes faites qui ne sont pas difficiles à comprendre et forment une cosmologie plausible.
Elle conçoit l’univers en ces termes :
– Un principe premier à l’origine de l’existence ;
– Deux pôles, positif et négatif, mâle et femelle ;
– Trois manifestations, le Ciel, la Terre et l’Homme ;
– Quatre mouvements – dans l’espace les quatre points cardinaux, dans le temps les quatre saisons ;
– Cinq éléments – le bois, le feu, la terre, le métal, l’eau, qui régissent le rythme de la vie ;
– Six parentés – le souverain et le sujet, le père et l’enfant, le mari et la femme ;
et ainsi de suite sur une base schématique qui suppose que le cours de la nature et le cours des événements humains sont en corrélation. Concernant les Cinq Éléments (« wuxing, gokô », Sfr), il est important de noter qu’il ne s’agit pas d’« éléments » au plein sens du mot grec, mais de concepts dynamiques, comme en témoigne le caractère ff II s’agit ici du mouvement, du rythme de la vie, non pas de la composition de la matière.
Le même caractère schématique préside aux catégories qui, dans l’art de la divination, constituent la substance du Yijing ou Livre des mutations – les huit trigrammes et leurs combinaisons en soixante-quatre hexagrammes. Ces chiffres, imaginés pour reproduire les fentes des carapaces de tortue précédemment utilisées pour la divination,
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