Histoire du Japon
« harmonisant le yin et le yang ».
L’adoption de cette philosophie yin-yang est un exemple frappant du fonctionnement de l’influence culturelle chinoise, car pour les Japonais il était difficile, sinon impossible, d’adopter les institutions de la Chine sans admettre en même temps une partie des concepts qu’elles exprimaient. L’acceptation du yin-yang en est un exemple simple et assez clair, mais toutes les institutions politiques de la Chine des Sui et des Tang s’appuient bien entendu sur l’imposant corps de doctrines qu’on appelle par commodité le confucianisme. Ce terme est un peu ambigu, car le confucianisme de l’époque Han dont le Japon fit connaissance au vue siècle contenait bien davantage que l’éthique sociale enseignée par Confucius et par ses disciples. Il s’était transformé, à la fois par opposition et fusion avec d’autres écoles de pensée – l’assimilation du yin-yang n’en étant qu’un exemple –, en un système philosophique complet, et quand les Japonais, pour des raisons un tant soit peu utilitaires, adoptèrent avec enthousiasme les pratiques chinoises astrologiques, divinatoires et autres, à des fins gouvernementales, il leur fut impossible de ne pas prendre du même coup certaines idées morales sur lesquelles se réglait la conduite des Chinois. Il faut se souvenir aussi que la littérature chinoise était la source, et la langue chinoise le moyen, de tout le savoir supérieur au Japon, où les études classiques développées à l’Université, depuis sa fondation en 702 jusque très récemment, se confondaient avec l’histoire et la philosophie chinoises.
Dans ces conditions, ni les dirigeants japonais ni personne ayant reçu une éducation même modeste ne pouvaient échapper à l’influence des idées confucéennes. Mais pour mesurer les effets de celles-ci sur la pensée des Japonais, il faut d’abord examiner d’un peu plus près la nature du confucianisme tel que le Japon le connut durant la période de réforme, disons vers l’an 700, alors que l’influence chinoise s’exerçait de façon très forte et directe. A ses débuts, le confucianisme est la formulation d’anciens usages et rites chinois, et notamment ceux que dictaient les règles de la piété filiale que maintes générations avaient senties comme bénéfiques, on pourrait dire instinctivement. A ce corps de croyances et de pratiques, les Chinois donnaient le nom de « li », terme difficile à définir, mais qui pourrait se traduire par convenance ou ordre moral naturel. En tous les cas, l’essentiel du li s’attache à formuler le comportement qu’il convient d’adopter dans des circonstances données. Le confucianisme Han, lui, a une portée un peu plus vaste ; et dans la mesure où il est spéculatif, c’est-à-dire qu’il ne se résume pas à un simple code d’éthique sociale, sa cosmologie se fonde sur l’hypothèse que l’univers est un tout harmonieux, dans lequel l’Homme et la Nature, ou le Ciel et la Terre, sont en interaction constante dans tous les domaines de la vie.
On notera qu’il ne s’agit pas d’une vision du monde anthropocentrique, comme ont tendance à l’être les philosophies occidentales courantes, mais de l’expression du sentiment qu’un ordre naturel d’échelle cosmique agit sur les affaires humaines. Ce profond intérêt pour les phénomènes en tant que guides donnant accès à la compréhension des événements n’est pas unique, puisque dans la conception grecque de la nature et du destin il y a de même la conviction d’une unité entre les ordres éthique et cosmique. Le simple mot « désastre » rappelle cette forme de philosophie dans la vie occidentale, ainsi que ce vers : « Une étoile dansait et sous elle je suis né. » Quant aux mots solennels de Jules César, « Lorsque les pauvres meurent, on ne signale aucune comète. Les cieux mêmes semblent s’embraser pour annoncer la mort des princes », ils témoignent de la croyance qu’un lien existe entre les événements terrestres et célestes. L’univers se compose d’éléments magiques dont la nature et la fonction diffèrent, comme les pierres et les étoiles, les arbres et les insectes, mais qui sont tous liés et associés.
Les Chinois (non seulement les confucianistes mais de même les professeurs des autres écoles de pensée) tendaient à croire que le comportement des hommes, et notamment des dirigeants, peut influencer l’ordre
Weitere Kostenlose Bücher