Histoire du Japon
célébraient un service similaire dans le cadre des provinces, où la prière s’adressait aux divinités vénérées dans les sanctuaires régionaux. Le premier compte rendu du rituel observé en de telles occasions date de l’année 871 ou environ, alors que le système de gouvernement chinois était solidement établi et que l’influence de la Chine avait atteint son apogée. Aussi est-il intéressant de constater que cette ancienne cérémonie, totalement japonaise, se déroulait dans des lieux officiels sous la direction de fonctionnaires d’État dont les titres et les fonctions correspondaient à la pratique chinoise. Il est donc clair que l’influence de l’étranger n’avait pas réussi à affaiblir la position du souverain en tant qu’intermédiaire entre la nation et les dieux, ni à entamer les convictions religieuses du peuple. La célébration de ce grand rituel à la fois dans la capitale et dans les provinces était manifestement un acte de gouvernement en même temps que de vénération, et il est significatif que plus de trois mille sanctuaires disséminés dans l’ensemble du pays reçussent des offrandes à cette occasion. Le culte indigène n’avait rien perdu de sa vitalité.
Une étude exhaustive du texte de la Prière pour la Moisson est riche de détails passionnants pour quiconque s’intéresse à l’histoire religieuse ; mais il suffit de dire ici qu’elle ne s’adresse pas uniquement aux dieux de la moisson (qui ne sont pas identifiés), mais également à d’autres groupes de dieux, tels que les dieux de la croissance (« Musubi »), les dieux des puits, les dieux des portes, les dieux des îles, les dieux des fermes, des hautes terres et des cours d’eau, et enfin la grande-divinité-brillant-au-ciel, la déesse du Soleil vénérée à Ise, le lieu le plus saint du pays. Le langage employé s’accorde à la solennité de l’occasion. Il est puissant par son effet et, par son impressionnante énumération de personnes et de choses, il évoque un tableau vivant. Quand le ritualiste dit, au nom de l’empereur, qu’il rendra gloire aux dieux par de nombreuses offrandes « s’ils bénissent de gerbes abondantes et riches la dernière moisson mûrissante, qui naîtra de l’écume ruisselant des bras et de la boue pressée entre les cuisses », l’auditeur voit aussitôt dans son esprit des hommes et des femmes debout ou agenouillés dans la boue, qui repiquent le jeune riz dans les champs inondés ; il imagine la peine et la sueur des générations qui l’ont précédé, le travail sur lequel se fondent les civilisations de l’Asie des moussons.
Bien que les textes qui nous en restent soient du ixe siècle, la liturgie de la Grande Purification contient sans doute des éléments d’une haute antiquité. Le service avait lieu au palais impérial, en présence des princes, des nobles et de tous les ministres, secrétaires, employés et fonctionnaires métropolitains, civils et militaires. Elle avait pour but de purger la nation entière des offenses passées et à venir, commises volontairement ou par inadvertance. La liste des offenses récitée au cours du service est d’un grand intérêt. Elles sont de deux catégories, céleste et terrestre. Les offenses célestes sont généralement celles attribuées au violent dieu Susanoo, qui, dans le mythe, représente une espèce de bouc émissaire. Ce sont des crimes particulièrement réprouvés dans une société agricole, soit qu’ils compromettent la récolte, comme d’endommager les fossés d’irrigation ou de semer de l’ivraie, soit qu’ils violent la pureté rituelle, comme de souiller un lieu d’habitation par des actes obscènes. Il semble qu’on les ait qualifiés de « célestes » parce qu’ils sont particulièrement exécrables aux dieux qui président au destin de la nation. Les offenses terrestres, elles, portent atteinte à l’ordre social, et sont odieuses parce qu’elles touchent au bonheur des membres d’une communauté. Elles comprennent le meurtre et les blessures, l’inceste, la bestialité, la sorcellerie et les maladies répugnantes, que l’on voit comme des causes de souillure plutôt que comme des infractions à une loi morale.
La langue de cette liturgie est d’une réelle beauté, peut-être parce qu’elle exprime des sentiments forts et intimes hérités de lointains ancêtres. Il ne fait aucun doute qu’un vif désir de propreté, une crainte de la souillure, est
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