Histoire du Japon
donner ou à confier leurs biens au monastère ou à quelque seigneur laïc.
L’effet de ces mesures fut de renforcer la contradiction entre les principes et la pratique du système foncier dans le pays. Bientôt, même le petit cultivateur, à qui le défrichement était censé bénéficier, se découvrit une charge croissante, parce que la proportion de terre privée était toujours plus grande et qu’il fallait augmenter les impôts sur le domaine public. Parfois, un pauvre paysan prenait la fuite, laissant ses champs tomber en friche, ou bien hypothéquait ou vendait sa parcelle à un agriculteur plus riche ou à un monastère, devenant un homme sans terre, à peine mieux loti qu’un esclave, quoiqu’il conservât son statut d’homme libre. Des contrats ont été conservés qui nous montrent un homme libre, cherchant désespérément à garder son lopin, hypothéquer sa terre avec pour garantie les femmes de sa maison, qui, s’il était en défaut, seraient prises comme servantes. Il y a des traces de cette pratique peu après l’introduction du système parcellaire.
Ces pauvres n’étaient pas toujours en mesure d’améliorer leur condition en cultivant de nouvelles terres. La riziculture par irrigation exige la construction de barrages, de digues et de fossés, ce qui demande un certain art et beaucoup de travail, car le sol doit être soigneusement préparé et parfaitement égalisé. Les différences de niveau d’eau entre les champs doivent être calculées de façon précise, afin que des ajustements puissent être faits aux changements de saison et de temps ; et si la source alimentant le réseau est éloignée, de longs canaux doivent être construits. Défricher un terrain pour en faire des rizières requiert donc une direction experte, des travailleurs organisés et de lourdes dépenses en outils et main-d’œuvre. Dans la pratique, l’essentiel du défrichement était exécuté par des familles nombreuses ou des institutions et personnes fortunées, de sorte qu’ici encore les riches propriétaires et les grands monastères et sanctuaires étaient avantagés par rapport aux petits propriétaires. Certains paysans pauvres s’efforçaient de vivre de terres impropres à la riziculture, mais là aussi ils étaient désavantagés, car de puissantes familles trouvaient leur intérêt à s’approprier par achat, par force ou par menace les hautes terres, forêts, deltas, lacs, étangs et marais, dont elles pouvaient tirer parti en tant que propriété privée sur laquelle elles payaient peu ou pas d’impôts.
Ainsi, la répartition des bonnes terres devint de plus en plus injuste. Cependant, il est probable que l’augmentation de la production répondait aux besoins d’une population croissante, et il se peut que les progrès rapides du défrichement, malgré la dureté des méthodes employées, ait en fin de compte été bénéfique au pays. Mais c’est au détriment de l’autorité du gouvernement central que s’obtenait un résultat économique valable, et peu à peu l’échec des lois foncières amena la ruine du système administratif, à la place duquel se développèrent les institutions féodales.
Il convient d’ajouter que de grands établissements religieux comme le monastère du Tôdaiji, à Nara, jouèrent un rôle important dans le travail de défrichement en avançant des fonds, en fournissant des outils, ou en accordant leur protection à de petits cultivateurs prêts à donner avec leur aide une parcelle de terre défrichée. A l’époque, la mise en valeur de vastes régions incultes n’était pas possible sans une forme rudimentaire de capitalisme. Il n’y avait pas d’économie monétaire à proprement parler, mais les grands monastères et les propriétaires terriens les plus puissants avaient à leur disposition non seulement de nombreux ouvriers, mais encore tout un stock d’outils de fer, indispensables au défrichement. A partir de 708, une petite quantité de pièces de cuivre se mit à circuler, mais la forme la plus importante de richesse mobile était la bêche ou houe de fer, sans quoi le travail de l’homme eût à peine produit davantage que sa consommation. Les registres de la fin du vue e t du début du vine siècle signalent des dons de fer non façonné et de plusieurs milliers de bêches et houes de fer de la Couronne aux monastères et aux grands officiers, et il est clair qu’on n’eût pu autrement effectuer un défrichement à grande
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