Histoire du Japon
privés pouvaient monter jusqu’à près de 100 %. Il en résulta un déclin progressif de l’économie rurale, car à mesure que se multipliaient les évasions fiscales et abandons du sol, le gouvernement devait prendre des mesures toujours plus draconiennes pour que les prêts de riz soient remboursés.
De toute évidence, ce système complexe de parcelles imposables ne pouvait fonctionner sans une soigneuse préparation sur la base de registres précis. Les fonctionnaires de la capitale mirent au point une procédure destinée à prévenir les abus, mais des difficultés surgirent dès le départ, en partie à cause des défauts inhérents au projet, en partie faute d’hommes capables et sûrs dans les provinces. Il est douteux que le système ait jamais été appliqué uniformément dans l’ensemble du pays. Il fonctionna tant bien que mal pendant un temps et dans certaines régions, notamment celles où l’autorité du gouvernement central était la plus forte, mais ce n’était en fin de compte qu’une copie du système fondé sur les codes Sui et Tang, qui, s’il était adapté aux conditions chinoises, ne pouvait répondre aux besoins japonais sans changements radicaux 7 . Il subit d’ailleurs de fréquentes révisions, mais il échoua à l’usage, peut-être autant en raison de ses défauts intrinsèques qu’à cause de l’incapacité du gouvernement à le faire appliquer. Car si le but déclaré des lois publiées à partir de 646 était d’intégrer toutes les terres et la population dans le domaine de la Couronne, des exceptions furent faites dans la pratique, qui, prises ensemble, compromirent le but poursuivi et finirent par ruiner le nouveau système.
Il serait fastidieux de décrire en détail les nombreux masques sous lesquels la propriété privée du sol fut autorisée à continuer. Il suffit de dire que des terres furent octroyées aux nobles et aux officiers en fonction de leur rang, de leur charge et de leurs mérites. Ces octrois s’accompagnaient d’immunités fiscales, et permettaient à leurs bénéficiaires de se comporter presque en propriétaires à l’égard de ceux qui travaillaient la terre. Bien que légalement autorisées, ces exceptions de taille au profit de la classe dirigeante étaient contraires à l’esprit de la loi foncière, même s’il était normal que l’on récompensât les ministres d’État et autres loyaux fonctionnaires dont les efforts soutenaient le Trône contre les grands propriétaires terriens.
Des précieuses terres ainsi soustraites au domaine public devaient résulter une perte importante de revenus en même temps qu’une diminution de l’autorité gouvernementale, car elles constituaient des zones d’immunité échappant à la juridiction de l’État. Le système avait en outre le grave inconvénient de favoriser les grandes familles dotées de nombreux esclaves, puisque l’étendue de la parcelle allouée dépendait du nombre de têtes. Le cultivateur sans esclaves, chef d’une petite famille, était fort mal loti, car il ressentait très durement le poids des impôts, et il avait souvent à craindre une attaque de la part de voisins plus puissants. Parmi ces pauvres, beaucoup jugeaient que les nouvelles mesures n’arrangeaient en rien leur situation, et certains trouvaient préférable de travailler pour quelque riche propriétaire privé plutôt que d’assumer les charges croissantes de l’État. Les registres officiels reflètent ces circonstances en ce sens qu’ils mentionnent des paysans en fuite dès 670,677 et 679, et qu’ils nous apprennent que, en 731, il y a des bandes de vagabonds si nombreuses que les autorités s’en inquiètent sérieusement. La détresse des cultivateurs ressort en outre d’un édit de 685 remettant leurs dettes et d’une allusion à un vaste plan d’émigration vers de nouvelles colonies.
Sans être encore catastrophiques, de telles contradictions et inconséquences dans le fonctionnement de la loi foncière commencèrent à susciter de l’inquiétude à l’époque où Nara était au faîte de sa prospérité. Les principaux administrateurs éprouvaient le besoin d’agir, et comme ils ne pouvaient pas espérer remédier aux défauts des lois, ils tentèrent d’augmenter la surface totale des rizières. A cette fin, ils inscrivirent le défrichement au programme de la politique nationale, et, en 722, ils ordonnèrent qu’un million et demi d’hectares de terres nouvelles soient
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